Bulles de psycho
La psychologie m’attire toujours, mais me déçoit souvent. Le Petit Robert la définit, dans une acception moderne, comme l’« étude scientifique des phénomènes de l’esprit, de la pensée, caractéristiques de certains êtres vivants (animaux supérieurs, homme) chez qui existe une connaissance de leur propre existence ». Le Petit Larousse, à sa manière, résume le tout en parlant de l’« étude scientifique de faits psychiques ».
Quel humain minimalement curieux de son sort et de celui de ses semblables ne serait pas attiré par un tel programme ? La psychologie, pourtant, peine à remplir ses promesses. Les ouvrages publiés par ses praticiens s’apparentent souvent à des livres de recettes un peu gnangnans. Plus encore, chaque auteur a sa propre recette, ce qui me semble ébranler la prétention scientifique de la discipline.
Je ne mets pas en doute le fait que les psychologues sérieux et bienveillants puissent aider leurs patients désemparés. Trop de témoignages le confirment pour ne pas le reconnaître. Je constate simplement que, sur le plan théorique, la psychologie demeure, pour une science, bien tâtonnante.
Elle continue de m’attirer suffisamment, malgré tout, pour que j’aie eu envie de lire L’incroyable histoire de la psychologie en bande dessinée (Édito, 2024, 272 pages), rédigée par le psychologue français Jean-François Marmion et richement illustrée par son compatriote Pascal Magnat. Même si la bédé n’est pas trop mon truc — j’en ai assez lu dans mon enfance —, j’ai goûté cet album dont le contenu théorique, agrémenté d’une belle touche d’humour, est substantiel.
Bien que la psychologie dite scientifique date du XIXe siècle, les humains n’ont pas attendu cette époque pour se lancer dans l’exploration de la psyché et de ses troubles.
Marmion a donc raison d’évoquer les chamans et les prêtres-médecins des temps immémoriaux, qui traquaient les mauvais esprits et tentaient d’amadouer les dieux afin d’apaiser les âmes perturbées, et les philosophes de l’Antiquité, qui cherchaient à comprendre ce qui relevait de l’âme ou du corps dans les comportements humains. Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie, mais aussi de la psychologie.
En cette matière, nous avons tous nos préférés. Les miens s’appellent Freud, Frankl, Dolto, Rogers et Maslow, l’homme de la célèbre pyramide des besoins, tous des auteurs présents dans le livre de Marmion.
En gros, j’aime, dans cet univers, la psychanalyse de type freudien, tout en ne comprenant rien à Lacan et en ne dédaignant pas l’hérétique Jung. J’aime aussi la psychologie de type humaniste de Carl Rogers, qui voit la thérapie comme un accompagnement fondé sur l’empathie, la sincérité et la bienveillance. Mon point de vue, toutefois, est celui d’un lecteur et non celui d’un patient ou d’un psy, ce qui peut expliquer mes choix.
Marmion, par souci d’objectivité, se fait assez discret quant à ses propres préférés. Comme la majorité des psychologues actuels, il ne cache cependant pas son penchant pour les thérapies comportementales et cognitives (TCC) et pour leur grand inspirateur, le psychiatre américain Aaron Beck (1921-2021), que le neuroscientifique britannique Christian Jarrett présente comme le parricide métaphorique de Freud dans Psychologie en 30 secondes (Hurtubise, 2012).
Freud, d’ailleurs, passe un mauvais quart d’heure dans cette histoire. Marmion, souvent drôle, n’a pas tort de le dépeindre en patriarche qui veille avec un soin autoritaire sur sa réputation de génie, mais il en beurre épais en le présentant comme un charlatan bien plus soucieux de sa place dans l’histoire que de la vérité de ses thèses.
Il est bien possible, comme l’a martelé Le livre noir de la psychanalyse (10/18, 2007), que les théories de Freud soient inopérantes sur le plan thérapeutique. Néanmoins, la conception de l’être humain qu’elles mettent au jour demeure, aujourd’hui encore, d’une richesse inouïe.
Le sévère chapitre consacré à l’histoire de la psychiatrie est passionnant. Marmion y illustre « la fragilité du système psychiatrique » en rappelant une étude de 1973, menée par le psychologue américain David Rosenhan, qui montrait que les diagnostics posés par les psychiatres étaient plus que hasardeux. En 2019, toutefois, la méthodologie de cette étude sera contestée.
La psychologie, d’ailleurs, n’échappe pas, elle non plus, à ces fracassantes mises en cause. En 2012, le psychologue américain Brian Nosek a montré que les résultats de 100 expériences de psychologie scientifique n’ont pu être reproduits que dans 39 % des cas.
De l’histoire de la psychologie, je tire comme conclusion que cette discipline est un fascinant et nécessaire fouillis, une science humaine, très humaine, dont les théories, éclairantes mais fragiles, doivent être manipulées avec soin, surtout quand il s’agit d’en faire un usage pratique.