LA SÉLECTION BÉDÉ D’ISMAËL HOUDASSINE ET DE FRANÇOIS LEMAY
Une virée chaotique dans la Grosse Pomme
Les amies Dani et Zoé rêvent depuis toujours de découvrir New York. Les deux Torontoises profitent de leurs vacances universitaires pour se retrouver dans la métropole américaine après plusieurs mois de séparation. Fiona, une camarade de classe, les accompagne dans ce périple aux multiples rebondissements. Le rêve se transforme très vite en cauchemar puisque le voyage qui devait inclure magasinage, bons repas, visite des musées et découverte des monuments emblématiques prend une tout autre direction pour Dani. Alors qu’elle doit composer avec l’idylle naissante entre Fiona et Zoé, la voilà qu’elle se retrouve bientôt toute seule à déambuler dans les rues de la ville. Les cousines Jillian Tamaki et Mariko Tamaki ont imaginé ensemble à partir de leurs souvenirs d’enfance un album intelligent sur le passage à l’âge adulte. L’oeuvre, rythmée par des dialogues bien ficelés, se veut également un magnifique hommage à la ville qui ne dort jamais. Ismaël Houdassine
À la recherche du temps perdu
Lauréat au dernier Festival d’Angoulême du prix du Fauve d’or du meilleur album pour Monica, le légendaire bédéiste indépendant Daniel Clowes, réputé pour ses oeuvres combinant réalité brute et surréalisme sociologique, livre un roman graphique kaléidoscopique complexe, dense et inclassable. Cet opus à tiroirs campé dans les sixties sonde les névroses de la société américaine à travers l’existence d’une femme ordinaire en quête d’identité que l’on suit de la naissance jusqu’à sa mort. Au coeur d’une splendide odyssée désespérante, imprégnée de fantastique, l’héroïne tourmentée trouve en chemin des fantômes imaginaires et d’autres bien réels, et tout un univers illustré de couleurs vives et chatoyantes. Divisé en neuf nouvelles interconnectées, chaque récit possède son propre style esthétique. Vacillant entre chronique mélancolique et mauvais rêves, l’album — probablement le plus intime de Daniel Clowes — nous immerge dans un maelstrom d’émotions qui ne laisse pas indifférent.
Ismaël Houdassine
Passer par la tempête
Il y a de ces albums dans lesquels nous plongeons en découvrant que nous n’aurons aucune chance de nous en sortir avant d’en avoir atteint la fin. Et c’est exactement l’effet que nous a fait Épinette noire, signée Aurélie Wilmet, une autrice belge maintenant installée au Danemark, qui nous offre un conte moderne dont l’action se situe dans le Grand Nord, durant les années 1940. Wilmet met en scène Violette, une pilote de brousse qui doit s’installer à Kuujjuaq avec son mari, nommé à la tête du comptoir de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Elle reprend ses activités de pilotage, à la suite d’une séparation houleuse, et se perd en pleine tempête, attendant des secours qui ne viendront peut-être jamais. Si le scénario est assez convenu (ce qui n’est pas mal en soi pour un conte moderne), le dessin, quant à lui, nous replonge dans les esquisses réalisées sur le motif par les peintres de la nature canadienne du début du XXe siècle. Superbe dans sa simplicité et son exécution ! François Lemay
Cachez cette biodiversité que je ne saurais protéger
Martin PM a la bande dessinée scientifique dans le sang, c’est le cas de le dire. Grandement versé dans les albums à saveur documentaire et scientifique, il s’intéresse particulièrement à la transmission des enjeux actuels touchant, entre autres, l’environnement, comme il le fait ici avec Un sacrifice tout naturel. Les ratés de la protection de la biodiversité au Québec, qui porte très bien son titre ! Il est question, ici, de trois projets particuliers qui concernent des regroupements citoyens, que l’auteur a suivis dans leurs questionnements sur les façons de faire du ministère de l’Environnement et sur ses positions quant à la protection des différents milieux naturels. Sommes-nous vraiment surpris d’apprendre à quel point tout semble se décider sur le coin d’une table, au gré des démarches des promoteurs, alors que l’État ne se soucie pas vraiment, par manque de ressources entre autres, de ce qui vit sur son propre territoire ? Poser la question, c’est y répondre !
François Lemay