Du ti-pop au grand
Au coeur de l’hiver et sous la rue Sherbrooke, le pop art déploie toutes ses formes et ses couleurs
Les détracteurs du pop art ressassent les mêmes arguments depuis la naissance de ce courant dans les années 1950 : simple copier-coller d’images publicitaires ; détournement d’objets du quotidien que les galeries et les musées anoblissent par leur seule présence en ces lieux ; utilisation abusive de matériaux et de techniques relevant de la logique industrielle, comme le plastique ou la peinture acrylique.
Ces critiques, Iris Amizlev les a maintes fois entendues, et elles ne semblent que raffermir son admiration pour cette période ayant marqué la seconde moitié du XXe siècle. Conservatrice projets et engagement communautaires au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), elle est aussi commissaire de l’exposition Pop la vie !, inaugurée en septembre dernier. Celle-ci était présentée en marge de la grande rétrospective consacrée à l’artiste américano-colombienne Marisol, une figure importante de ce mouvement.
Ses sculptures flamboyantes ont depuis quitté le MBAM, mais le plaisir que procure Pop la vie ! va se prolonger jusqu’en juillet prochain. Iris Amizlev ne s’en plaindra pas, même s’il lui faut effectuer quelques rotations d’oeuvres sur papier, les plus sensibles à la lumière. C’est ainsi que le fameux Mao d’Andy Warhol, qui trônait fièrement dans la première mouture de l’exposition, est retourné à l’ombre. Mais plus de 70 oeuvres habitent toujours cet espace stratégique du musée, passage souterrain entre les pavillons Jean-Noël Desmarais et Michal et Renata Hornstein, offrant au visiteur une belle voie de passage.
Jongler avec les images
Né en Angleterre et aux États-Unis peu de temps après la Deuxième Guerre mondiale, le pop art est devenu à la fois « une célébration et une critique de la culture populaire », affirme Iris Amizlev tout en déambulant au milieu des pièces qu’elle a choisies avec soin. On pourrait croire que transformer des images de paquets de cigarettes, de personnages de bandes dessinées ou de viande en conserve relevait de la provocation. Pour la commissaire, il faut tenir compte du contexte ayant poussé plusieurs artistes comme Roy Lichtenstein, Eduardo Paolozzi et David Gilhooly à choisir cette voie. « La peinture expressionniste et abstraite, dominante à cette époque, représentait l’univers intérieur des créateurs, précise cette doctorante en histoire de l’art de l’Université de Montréal. Devant cela, le pop art prônait l’inverse, utilisant des images et des sujets puisés du monde extérieur pour les introduire dans les galeries et les musées pour en faire de l’art. C’était tout simplement révolutionnaire ! »
Comme si nous étions au milieu d’un grand magasin, Pop la vie ! présente différentes sections rappelant le caractère familier de notre propre demeure. Du salon à la cuisine, nous voilà devant un choix éclectique de bibliothèques, de chaises, de fauteuils et de divans — dont l’un est enrobé d’une peau de léopard. Certains meubles et accessoires, dont une lampe Nesso, célèbre pour sa forme en champignon d’un orange scintillant, semblent sortis du film Orange mécanique, de Stanley Kubrick.
Le pop art made in Québec
Cette exposition thématique est la deuxième signée Iris Amizlev, après Écologies — Ode à notre planète, présentée en 2021-2022 et occupant le même espace que Pop la vie ! Pour la commissaire, c’est une occasion unique d’exposer des oeuvres du MBAM, mais tenues loin du regard du public. Au fil de ses visites dans les réserves, elle a déniché de « véritables bijoux d’artistes d’ici » offrant quelques beaux exemples du mouvement tipop, relecture typiquement québécoise du pop art américain.
Parmi ses fiers représentants au sein de l’exposition, on retrouve Chantal DuPont (Une fleur à la bouche), Gilles Boisvert (Femme), Guy Montpetit (Deux cultures, une nation, no 4), Jean Noël (OEuf mauve) et Edmund Alleyn (Iceberg Blues). Qu’il s’agisse de sculptures ou de peintures, leur caractère ludique doublé d’un soupçon d’ironie capte immédiatement le regard du visiteur, donnant à l’ensemble une vision nouvelle de ce courant.
Un créateur québécois du ti-pop se démarque dans l’exposition : Pierre Ayot (1943-1995). La curiosité d’Iris Amizlev l’a conduite vers une de ses oeuvres sans support visuel, au sein du catalogue du musée. À l’image des boîtes de savon à lessive Brillo d’Andy Warhol, voilà qu’elle découvre qu’Ayot a opté pour le… Martini & Rossi ! Et à quelques pas de là, au milieu d’un four qui aurait besoin d’un bon nettoyage, Ayot a encastré une vidéo présentant la cuisson en broche d’un poulet : le tout dure environ deux heures, si jamais vous cherchez un moment de contemplation culinaire !
Andy Warhol disait adorer les sucreries et les choses « ordinaires ordinaires ». À en juger par la diversité des styles, des matériaux et des sujets dans Pop la vie !, il n’était pas le seul à vouloir transformer le banal. Sous la loupe des amoureux du pop art, un cactus peut devenir un portemanteau, et une chaise, nous catapulter en pleine science-fiction, surtout à côté d’une oeuvre comme Lunar Rocket, d’Eddie Squires.
Tous ces artistes nageaient dans l’euphorie et l’insouciance ? Pop la vie ! nous y replonge sans nous inviter à nous débarrasser de notre esprit critique… et d’un sourire parfois ironique devant certaines de leurs flamboyantes bravades.