Séjourner sur la Grande Barrière de corail
Ce n’est pas un endroit où l’on atterrit par hasard. Sur le plus grand ensemble corallien de la planète, dans le Queensland, l’île Lizard voit surtout défiler des scientifiques venus étudier les fonds marins et des vacanciers attirés par le luxe et l’intimité de sa seule station balnéaire. Bienvenue au bout du monde, champagne en prime.
Survoler l’impressionnante mosaïque composée de récifs, d’îles et de bancs de coraux génère de nombreux points d’exclamation. Depuis Cairns, il faut compter environ une heure à bord d’un petit Cessna Gran Caravan pour atteindre l’île considérée jadis comme sacrée par les Aborigènes Dingaal, qui y initiaient les jeunes hommes. On imagine les poissons — environ 1500 espèces — patauger parmi les coraux et mollusques dans cette étendue turquoise tachetée de vert et de brun. Quand, en poussant la porte de sa chambre, on découvre la vue, se pincer s’avère nécessaire. Aucun superlatif ne semble assez fort pour qualifier la vision idyllique qui s’offre à nous.
Il suffit toutefois d’une seule phrase prononcée par une employée bien intentionnée, après nous avoir remis palmes, tuba et combinaison anti-méduses, pour revenir à la réalité : « Soyez prudent, un crocodile a été aperçu sur la plage ce matin. » On se souvient alors de tous les clichés maintes fois entendus à propos des multiples créatures pouvant venir troubler les décors de carte postale d’un bout à l’autre du pays. Le reptile — même « un tout petit », comme s’est empressée d’ajouter notre interlocutrice — fait assurément partie de la liste. De plus beau terrain de jeu du monde, l’horizon nous apparaît soudainement comme une potentielle scène de crime. Un peu de yoga avant de plonger ?
Des vedettes et des scientifiques
Quand nous serons parvenus à chasser les images de crocodiles aux dents bien aiguisées de notre esprit, il suffira de quelques pas depuis notre terrasse pour patauger avec d’immenses tortues. Non, nous n’en avons pas fini avec les points d’exclamation.
Bien que les bateaux soient autorisés à naviguer dans le secteur, n’accoste pas qui veut à l’île Lizard, baptisée ainsi par le capitaine James Cook en 1770 à cause de la présence des varans. Seuls les résidents du complexe hôtelier, quelques campeurs munis d’un permis et la poignée de scientifiques qui étudient l’écologie et l’impact des changements climatiques depuis 50 ans à la station de recherche circulent sur l’île. En plus de la quarantaine de chambres, suites et villas, une superbe maison de trois chambres — The House — s’est ajoutée à l’offre de la station balnéaire. Surplombant la plage Attenborough, ce bijou architectural est complètement isolé. On ne s’étonne pas d’apprendre que de richissimes hommes d’affaires tels que Bill Gates et des vedettes comme Katy Perry y ont trouvé refuge.
Sciences et palourdes
Une visite à la station de recherche aide à mieux comprendre l’incidence des cyclones et les menaces qui pèsent sur les coraux. « Nous étions l’épicentre des événements de blanchiment massif des coraux, raconte le Dr Lyle Vail Am, qui codirige l’établissement scientifique avec sa femme, la Dre Anne Hoggett AM, depuis 1990. « Le premier a eu lieu en 2016 et a tué environ 83 % des coraux autour de l’île Lizard à cause des eaux trop chaudes. Nous avons eu un second épisode en 2017 », explique-t-il.
Aussi liés au réchauffement climatique, les cyclones créent de fortes vagues qui saccagent le fond de l’océan. « La science démontre maintenant qu’il y en aura moins dans le futur, mais qu’ils seront plus puissants, dit le chercheur, habitué à vivre avec cette menace depuis 30 ans. C’est exactement ce que nous constatons. »
Certains secteurs touchés par les événements de la dernière décennie sont toutefois parvenus à bien se régénérer. On l’observe notamment en agitant les palmes au-dessus de l’impressionnant jardin de palourdes, où les mollusques ne ressemblent en rien à ceux qui se retrouvent dans nos chaudrées. Gigantesques, les spécimens bleus, violets, cyan — et toute une palette de couleurs vives qu’on associe plus spontanément aux oiseaux qu’à ces invertébrés — éblouissent autant que n’importe quel grand tableau. « Certains articles ont affirmé que le récif était mort, rapporte le Dr Vail Am. Ce n’est pas vrai. Si nous regardons à North Point, la guérison a été bonne. Mais je pense que nous ne pouvons être complaisants. Le récif a réellement besoin de notre aide et je crois que la meilleure façon de le faire est de diminuer radicalement notre empreinte carbone. »
Contradictoire d’aller si loin — et de dépenser autant de GES en transport — pour se le faire répéter ? Pour le scientifique, c’est surtout au quotidien que nos efforts devraient se concentrer. « La meilleure manière de conscientiser les gens et de les inciter à réduire leur empreinte carbone est de leur montrer ce qui pourrait disparaître », estime le chercheur.