L’angle mort des inégalités de patrimoine entre hommes et femmes
En 2022, les hommes ont gagné 12 % de plus que les femmes au pays, selon les dernières données de Statistique Canada. Si on peut se réjouir que cet écart salarial tende à rétrécir avec les années, il y a encore tout un pan d’inégalités qu’on ne peut mesurer, faute de données sur le patrimoine, constate la chercheuse Maude Pugliese, qui compte bien agir pour renverser cette tendance.
La question des inégalités de revenus entre les hommes et les femmes est assez bien documentée au pays. Mais il est assez rare qu’on s’attarde à l’aspect patrimonial. Pourtant, au Canada, les statistiques sur le patrimoine (tous les actifs nets d’une personne) sont mesurées en matière de ménage, ce qui a pour effet de masquer les inégalités entre les hommes et les femmes en couple, soit 40 % de la population québécoise, explique la professeure agrégée à l’Institut national de recherche scientifique Maude Pugliese.
Pour tenter d’avoir un portrait plus représentatif de la situation, celle qui est titulaire de la nouvelle Chaire de recherche du Canada en expériences financières des familles et inégalités de patrimoine a lancé en 2022 une première enquête sur le sujet au Québec. Et les résultats sont assez frappants : le patrimoine net moyen des hommes est 30 % plus élevé que celui des femmes dans la population adulte générale. Et chez les personnes en union libre, l’écart devient vertigineux, pour s’établir à 80 %.
« Ça démontre à quel point, quand on ne demande pas aux personnes en couple comment est distribuée la richesse à l’intérieur du ménage, on manque une grosse partie de l’histoire et on masque beaucoup les inégalités », croit Maude Pugliese.
La chercheuse a profité du fait qu’elle menait une grande enquête sur l’endettement pour sonder les 4800 répondants et répondantes sur leur patrimoine individuel. Et même si les résultats sont très approximatifs, elle espère que cela pourra influencer les sondeurs nationaux à modifier leur méthode de collecte des données.
Revenu contre patrimoine
La question du patrimoine en est une très importante, souligne la chercheuse, puisque même s’il est petit, quelques milliers de dollars épargnés peuvent tout changer en cas d’imprévus.
L’enquête menée par l’INRS a aussi démontré que plus les personnes sondées étaient riches, plus l’écart de patrimoine entre les genres était important. « Pour moi, ce que ça reflète, c’est que dans notre société, il y a vraiment une très grande concentration du patrimoine, note Mme Pugliese. Il y a des gens qui sont vraiment très riches et beaucoup de gens qui n’ont finalement pas grand-chose. »
Mais le patrimoine soulève aussi d’autres questions. Est-ce que les femmes ont accès aux mêmes services de conseils financiers que les hommes ? « Dans les couples, ce sont souvent les hommes qui vont s’occuper des finances, fait remarquer Mme Pugliese. Ils vont donc peut-être avoir beaucoup d’occasions d’apprendre à ce sujet. S’il y a une séparation, ça peut être compliqué de rattraper tout ça par la suite. »
« Tout ce monde de l’investissement, des taux de rendement, pour l’instant, c’est un peu une boîte noire, on n’en sait pas beaucoup, ajoutet-elle. Mais on peut penser qu’il y a des écarts. »
Les femmes moins susceptibles d’hériter
Un autre mécanisme qui mérite d’être étudié est certainement celui des héritages et des transferts intergénérationnels. Les données dans les pays européens qui s’y sont intéressés démontrent un désavantage très net pour les femmes, fait remarquer Mme Pugliese. « Ça se situe souvent dans le contexte d’une entreprise familiale », précise-t-elle.
En 2020, la chercheuse a participé à l’Enquête sur la sécurité financière, qui récoltait des données sur le patrimoine au Canada, et bien qu’elle n’ait pas pu mesurer la différence au sein des couples, « les femmes étaient moins susceptibles que les hommes de déclarer avoir déjà hérité au cours de leur vie ».
Un constat pour le moins frappant. « C’est un pan d’une enquête : je ne peux pas affirmer que c’est quelque chose qu’on voit aujourd’hui en 2024 au Québec, mais c’est certainement un sujet qu’on aimerait approfondir, avec l’équipe de la Chaire », indique la chercheuse.
La professeure à l’INRS espère pouvoir notamment étudier cette question avec des enquêtes plus qualitatives : qu’est-ce que les gens ont reçu, qu’est-ce qu’eux-mêmes donnent à leurs enfants et comment prennentils ces décisions ?
Les prochaines enquêtes de la Chaire de recherche du Canada en expériences financières des familles et inégalités de patrimoine devraient donc permettre de récolter des données qui apporteront un peu de lumière sur cet aspect méconnu des inégalités entre les genres… soit la première étape avant de pouvoir aborder des pistes de solution pour renverser cette tendance.