Faciliter l’entrée des entrepreneures sur les chaînes d’approvisionnement
Bien que les entreprises possédées par des femmes soient de plus en plus nombreuses au pays, elles demeurent peu visibles sur certains marchés. S’attaquer au manque de diversité au coeur des chaînes d’approvisionnement canadiennes en permettant aux entrepreneures de prendre place parmi les fournisseurs des grandes compagnies, c’est justement la raison d’être du projet Maïa, de Croissance inclusive, dont le lancement officiel est prévu en avril.
« Avec ce projet, on veut faire en sorte que les chaînes d’approvisionnement de nos grandes compagnies soient plus inclusives », explique Ruth Vachon, présidente-directrice générale du Réseau des Femmes d’affaires du Québec (RFAQ), organisme qui est à l’origine de l’initiative, annoncée en décembre dernier. « On veut lever les obstacles liés à l’insertion des entreprises appartenant à des femmes au sein des chaînes d’approvisionnement de grandes entreprises. »
Afin de remplir cet objectif, le RFAQ tente de répertorier les « groupes » discriminés car invisibilisés dans le but d’améliorer leur découvrabilité. Ainsi, 750 entreprises dirigées par des femmes bénéficieront d’un coup de pouce et 50 grandes entreprises seront sensibilisées à l’importance de la diversification des fournisseurs et seront aidées dans la mise en place d’initiatives plus équitables sur les plans économique et social. « Ce qu’elles font aujourd’hui, elles ne le font pas nécessairement par mauvaise volonté, note Mme Vachon. Mais les femmes, étant pour la plupart à la tête de petites entreprises, manquent souvent de visibilité. Nous allons essayer de leur faciliter l’entrée sur les chaînes d’approvisionnement. »
Le projet est notamment financé par la Stratégie pour les femmes en entrepreneuriat du gouvernement fédéral. D’autres partenaires tels que la Banque de développement du Canada, le Women’s Enterprise Organizations of Canada et la Chambre de commerce gaie et lesbienne du Canada sont aussi derrière cette initiative. Tournées de sensibilisation sur l’importance de la diversification des fournisseurs et développement d’outils technologiques feront partie des moyens utilisés par le RFAQ pour mobiliser les différentes compagnies dans le cadre du projet Maïa. L’initiative offre donc aux entreprises la possibilité de trouver rapidement de nouveaux partenaires, renforçant ainsi la réputation de leur marque grâce à la valorisation de leurs initiatives axées sur la diversité. Enfin, cette démarche stimule l’innovation en ouvrant la voie à de nouvelles possibilités et solutions, tant pour les consommateurs que pour les entreprises, contribuant ainsi à un environnement commercial dynamique et progressiste. C’est un projet qui transformera le paysage de l’accès à l’approvisionnement au profit des femmes entrepreneures, mais également des grandes corporations et, ultimement, de l’économie canadienne, croit le RFAQ.
Barrières présentes
Outre le manque de visibilité des entreprises appartenant à des femmes, d’autres obstacles subsistent, quant à l’insertion de celles-ci, au sein des chaînes d’approvisionnement. Parce qu’ils n’ont pas l’habitude de travailler avec elles, les donneurs de contrats ont parfois peur de leur capacité de livrer, explique Mme Vachon. Diversifier ses fournisseurs, ajoute-telle, c’est certain que ça demande de revoir ses pratiques et d’être créatif. La grande entreprise doit être bien consciente que la petite entreprise avec qui elle va faire affaire n’est pas la multinationale avec laquelle elle sait travailler, mais bien une entrepreneure à qui elle va donner un coup de main. Pour lui mettre le pied à l’étriller, elle peut par exemple lui passer des commandes fractionnées ou signer des contrats de gré à gré, qui sont moins exigeants puisqu’ils ne mettent pas les entreprises en concurrence les unes avec les autres, illustre la présidentedirectrice générale.
D’après Mme Vachon, ne pas comprendre l’importance de chaque geste posé vers plus d’inclusion, aussi petit soit-il, nuit également à l’intégration des entreprises détenues par des femmes. « Les gens me disent : “Tu sais, Ruth, je n’ai pas de grands contrats à donner.” Sauf que si tu lui donnes un contrat de 2000 $ aujourd’hui, éventuellement, tu seras capable d’en donner un de 4000 $. Et si cette entrepreneure a la légitimité de mettre ton logo pour montrer que tu fais partie de ses clients, on gagne beaucoup », soutient celle qui défend l’idée que « la diversification permet de sortir du terrain de jeu habituel ».
L’effet de chaque pas qui pourrait entraîner un changement dans le milieu des chaînes d’approvisionnement doit aussi être compris par les corporations se trouvant dans la mire du RFAQ. Ruth Vachon croit qu’elles sont prêtes à faire ce saut. « Si les grandes entreprises veulent faire changer les choses, elles y parviendront, car ce sont elles qui ont le choix », avance la p.-d.g. Elles peuvent par exemple décider de partager leurs appels d’offres sur des canaux plus diversifiés afin d’aller chercher des entreprises intéressantes qui appartiennent à des femmes. C’est un chemin rapide pour passer à l’action, croit-elle.
En 2023, au Canada, 18 % des entreprises appartenaient majoritairement à des femmes, alors qu’en 2017, elles n’étaient que 15,6 %, cite Ruth Vachon, en s’appuyant sur une étude intitulée État des lieux de l’entrepreneuriat féminin au Canada 2023. Une hausse qui est synonyme de progrès, selon elle. « Des initiatives comme la nôtre sur la diversification des chaînes d’approvisionnement jouent beaucoup. De plus en plus d’acteurs en parlent. Les plus grandes entreprises sont de plus en plus au courant de ce défi. De plus en plus de gens d’affaires prennent conscience que les femmes entrepreneures ont besoin d’accompagnement parce qu’elles sont encore peu nombreuses à être déjà sur le terrain. Ça prend quelqu’un pour les sortir de leur cachette », conclut-elle.