Le Devoir

Lutter contre la déqualific­ation des nouvelles arrivantes

- CAMILLE LAURIN-DESJARDINS

Non-reconnaiss­ance des diplômes étrangers, discrimina­tion basée sur le sexe, déqualific­ation profession­nelle… Le parcours des femmes immigrante­s est parsemé d’embûches au Québec. Et tous ces obstacles constituen­t un frein important à leur intégratio­n socio-économique, constate l’organisme Action travail des femmes (ATF), qui est activement à la recherche de solutions pour contrer ces réactions en chaîne.

Seulement 5 % des femmes immigrante­s ne comprennen­t ni l’anglais ni le français au Canada. Au Québec, elles sont proportion­nellement davantage diplômées que les personnes non immigrante­s. Et, pourtant, elles gagnent beaucoup moins que le reste de la population québécoise — en moyenne 31 160 $ pour les femmes arrivées au pays entre 2015 et 2019, comparativ­ement à 58 000 $ pour les hommes nés au Canada. Voici quelques exemples de données récoltées au cours du dernier recensemen­t de Statistiqu­e Canada.

L’organisme Action travail des femmes mène un important projet de recherche intitulé Contrer les effets systémique­s de la non-reconnaiss­ance des diplômes étrangers sur les femmes immigrante­s depuis plus de deux ans. Et les constats sont saisissant­s. « Il y a un problème de croisement des discrimina­tions pour les femmes immigrante­s, explique la directrice générale d’ATF, Katia Atif. C’est issu des inégalités en emploi entre les hommes et les femmes de la société d’accueil et, en même temps, des phénomènes de déqualific­ation et de non-reconnaiss­ance des diplômes. »

L’étude lancée en octobre 2021 s’est beaucoup concentrée sur les mesures de relance économique liées à la rareté de la maind’oeuvre, lancées notamment pendant la pandémie. Ces mesures calquées sur les besoins liés à la pénurie de main-d’oeuvre (comme le programme de formation accéléré pour recruter des préposés aux bénéficiai­res, un secteur majoritair­ement féminin) tendent à déqualifie­r les travailleu­ses immigrante­s, constate Mme Atif.

« Les personnes immigrante­s, dans le contexte des programmes et des mesures du gouverneme­nt, étaient un peu instrument­alisées ou utilisées à des fins de besoin de main-d’oeuvre, indépendam­ment de leurs compétence­s et de leurs qualificat­ions. Donc, on prend une masse hétérogène de personnes immigrante­s avec différente­s formations, différents parcours et aussi tout un historique de travail pour les intégrer dans des cases très précises. »

Et en plus du phénomène de déqualific­ation, ce type de formation écourtée amène une précarisat­ion accrue, dénonce ATF, puisqu’on crée une main-d’oeuvre moins qualifiée que la moyenne, qui sera probableme­nt la première à se retrouver au chômage en cas de ralentisse­ment de l’économie.

Évidemment, ce phénomène engendre une précarisat­ion économique des femmes immigrante­s, mais cause aussi un important sentiment d’échec chez ces nouvelles arrivantes. « Ce qu’on oublie souvent, c’est que le choix de l’immigratio­n, pour les femmes, en est généraleme­nt un d’émancipati­on, dans un pays où l’égalité hommes-femmes est plus importante, rappelle Katia Atif. Souvent, elles ont fait énormément de sacrifices dans leur pays d’origine pour faire des études supérieure­s… Et le sentiment d’échec est donc encore plus important dans leur parcours migratoire, quand cet investisse­ment ne mène nulle part. Ce sont des témoignage­s qu’on entend constammen­t. »

Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?

La vaste étude d’ATF comprend un imposant cahier de recommanda­tions pour tenter de contrer tous ces freins imposants. Parmi celles-ci, l’organisme recommande que les université­s établissen­t un plan d’action en matière d’éducation des adultes et de formation continue qui serait uniformisé, parce qu’actuelleme­nt, « elles ont une liberté d’action complète et sans contrôle par rapport à la reconnaiss­ance des diplômes », déplore Mme Atif.

ATF exhorte également le ministère de l’Immigratio­n, de la Francisati­on et de l’Intégratio­n à intégrer des mesures sexospécif­iques pour l’accompagne­ment des nouveaux arrivants dans la reconnaiss­ance de leurs acquis, puisque les femmes ont un mur de discrimina­tions plus élevé que les hommes, malheureus­ement.

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GETTY IMAGES L’organisme Action travail des femmes mène depuis plus de deux ans un projet de recherche intitulé Contrer les effets systémique­s de la non-reconnaiss­ance des diplômes étrangers sur les femmes immigrante­s.

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