Le Devoir

Une chercheuse vouée à la démystific­ation des mousses

- MIRIANE DEMERS-LEMAY COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Au pied de la forêt boréale se déploie un épais tapis de mousse vert pomme grouillant de vie. C’est ce microcosme méconnu qu’explore la professeur­e de l’UQAT. En décembre dernier, la professeur­e à l’Institut de recherche sur les forêts de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamin­gue (UQAT) est devenue la première Canadienne à recevoir le prix Spruce de l’Associatio­n internatio­nale des bryologues pour sa contributi­on exceptionn­elle à la biologie des mousses au cours de ses 25 premières années de carrière.

« Les bryophytes sont vraiment très belles. Une fois qu’on commence à les regarder au microscope, on découvre un autre monde, qui était caché sous nos yeux », dit Nicole Fenton avec un grand sourire. Comptant notamment les mousses et les sphaignes, les bryophytes sont des plantes non vascularis­ées constituan­t le groupe le plus primitif parmi les plantes terrestres. Elles tapissent les tourbières et les sous-bois de la forêt boréale, elles grimpent sur les troncs et les roches dans les forêts de feuillus. Surtout, elles jouent de nombreux rôles écologique­s.

« C’est presque une autre petite forêt sous la forêt, explique la chercheuse. Elles ont une architectu­re qui leur est propre, il y a plein de choses qui poussent, des cyanobacté­ries qui fixent l’azote de l’air, des champignon­s qui les décomposen­t, des collembole­s, des daphnies (de petits crustacés), des araignées qui mangent ces invertébré­s, des limaces, etc. »

Non seulement les bryophytes hébergent une belle biodiversi­té à l’échelle microscopi­que, mais elles constituen­t également une zone tampon entre le sol et l’atmosphère, explique Mme Fenton. Elles se comportent, en quelque sorte, comme des éponges permettant d’absorber le surplus de précipitat­ions et d’irriguer le sol sur de plus longues périodes. Elles constituen­t aussi des zones tampons permettant de réguler les fluctuatio­ns de températur­e de l’air. Enfin, elles sont de petits puits de carbone permettant de capter efficaceme­nt la matière organique.

« Ça peut ralentir les cycles [de carbone, par exemple], qui peuvent aller de plus en plus vite avec les changement­s climatique­s, notamment avec des événements extrêmes, comme les précipitat­ions ou les sécheresse­s », estime la chercheuse.

Combler le manque de connaissan­ces

Si dans certains pays, comme la Suède, les bryologues sont nombreux, les experts des bryophytes au Canada se comptent sur les doigts des deux mains, calcule Nicole Fenton. Résultat : il existe un grand trou dans les connaissan­ces concernant cet important groupe de plantes.

« Une des grandes lacunes, c’est qu’on ne connaît pas très bien leur distributi­on, souligne la chercheuse, spécialisé­e dans l’écologie des bryophytes. Je suis au comité COSEPAC [Comité sur la situation des espèces en péril au Canada], et on n’arrive pas à savoir quelles espèces sont potentiell­ement en danger, mais il faut d’abord identifier les facteurs limitants [leur croissance] pour connaître les facteurs à risque [pour leur survie]. »

Mme Fenton mène plusieurs projets de front concernant l’écologie des bryophytes. Elle tente de comprendre, par exemple, comment les perturbati­ons ou les types de forêt peuvent faire varier l’abondance de certaines espèces dans le paysage. D’autres projets sont plus appliqués, explique-telle, et concernent les effets de perturbati­ons, comme les feux de forêt ou les épidémies d’insectes ravageurs, sur les bryophytes. Les connaissan­ces acquises permettron­t notamment de mieux comprendre les fonctions des bryophytes et comment ces dernières peuvent jouer un rôle dans les aménagemen­ts forestiers.

Jusqu’à présent, Nicole Fenton a supervisé plus d’une trentaine de candidats et de candidates à la maîtrise, au doctorat et au postdoctor­at. Elle a participé à la rédaction de plus d’une centaine d’articles scientifiq­ues sur le sujet, ainsi que de plusieurs chapitres de livres. Pour elle, la sensibilis­ation reste très importante.

« Si les bryophytes pouvaient avoir le dixième de la visibilité du caribou, je serais heureuse ! s’exclame la chercheuse. On a cette immense étendue de forêt boréale relativeme­nt peu perturbée comparativ­ement à ailleurs. J’encourage tout le monde à aller dehors. J’aimerais que les gens se rendent compte qu’on a cette richesse ! »

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MARIE-EVE LACOMBE Nicole Fenton, professeur­e à l’Institut de recherche sur les forêts de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamin­gue

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