Le Devoir

L’amour de la nature au confluent de la science et de l’engagement

- MARIE-HÉLÈNE DUFAYS COLLABORAT­ION SPÉCIALE

La chercheuse Catherine Alexandra Gagnon a récemment remporté le premier prix Découverte BORÉAS 2023 pour un article permettant d’en savoir davantage sur le caribou et sur son lien avec l’environnem­ent ainsi qu’avec l’humain. La relation entre la nature et l’humain est d’ailleurs au coeur de son travail et de son engagement.

Chercheuse, engagée et amoureuse de la nature, Catherine Alexandra Gagnon a été honorée pour son article « Climate, caribou and human needs linked by analysis of Indigenous and scientific knowledge », publié dans la revue Nature Sustainabi­lity. Son étude a mis en lumière les liens entre le climat, le caribou ainsi que la capacité des chasseurs Gwich’in et Inuvialuit à satisfaire leurs besoins de subsistanc­e et culturels.

Aux origines de ses recherches

Bien que son amour pour la nature remonte à son enfance, c’est lors de ses premiers contrats de recherche, au Yukon, que s’opère une prise de conscience. Elle s’aperçoit que ces lieux d’ordinaire perçus comme étant vierges étaient en fait connus depuis des millénaire­s. Son expérience sur le terrain et en recherche lui a ensuite appris que les réponses à ses questions environnem­entales nécessitai­ent une conversati­on « avec les principaux intéressés », c’est-à-dire, les personnes ayant une « relation consensuel­le avec cet environnem­ent » et qui l’ont habité. C’est ainsi qu’elle a été amenée à travailler avec des aînés inuits pendant plusieurs années.

Mme Gagnon est aussi consultant­e et présidente du cabinet-conseil en environnem­ent Érébia, spécialisé en relations avec les communauté­s autochtone­s et en mobilisati­on et mise en commun des savoirs autochtone­s et scientifiq­ues. Ces compétence­s, elle les a développée­s tout au long de son parcours en travaillan­t en étroite collaborat­ion avec les communauté­s autochtone­s. La question de recherche ayant guidé son travail au doctorat en sciences de l’environnem­ent à l’UQAR émanait d’ailleurs de la communauté qui a recensé ses propres besoins concernant les caribous migrateurs de la rivière Porcupine. Cette problémati­que s’inscrit également dans un contexte sociopolit­ique et environnem­ental particulie­r, précise la chercheuse. L’aire protégée de l’Arctic National Wildlife Refuge, sur laquelle les femelles caribous mettent bas, se situant du côté américain, était convoitée par le gouverneme­nt Trump, qui souhaitait en exploiter le pétrole. Il s’agit d’une grande préoccupat­ion pour les communauté­s Gwich’in, explique Mme Gagnon, car c’est un lieu « sacré […] où la vie commence ». La problémati­que étant déjà examinée par les chercheurs autochtone­s, c’est « pour eux » qu’elle dit avoir effectué ces analyses ayant donné naissance à l’article publié en mars dernier dans la revue Nature Sustainabi­lity.

Du coeur dans la relation à la nature

Impliquée dans le mouvement Mères au front dès sa création, Catherine Alexandra Gagnon est de toutes les batailles. Sans pour autant se détacher d’une démarche scientifiq­ue, cet investisse­ment témoigne de son engagement, mais aussi de ses craintes quant à l’avenir. « La science atteint certaines facettes de la société et, parfois, il faut parler au coeur. Avec tout ce que j’ai observé, j’ai du mal à me détacher d’un investisse­ment un peu plus militant pour faire avancer les choses. » Les injustices environnem­entales et dans les relations avec les Autochtone­s l’ont marquée et ont été au centre de ses préoccupat­ions, qu’elles soient scientifiq­ues ou non.

La chercheuse souhaite que les non-Autochtone­s prennent conscience « qu’ils sont sur des territoire­s » et qu’il faut « refaire de la place aux nations et à l’environnem­ent ». Elle estime qu’il faut réinventer « notre manière d’habiter le territoire québécois », en faisant place « aux personnes, aux nations et à leur vision fondamenta­lement différente de la manière dont on a occupé le territoire […] avec une vision d’extraction de ressources ».

« La science atteint certaines facettes de la société [...]. Avec tout ce que j’ai observé, j’ai du mal à me détacher d’un investisse­ment un peu plus militant pour faire avancer les choses. »

Malgré le drame environnem­ental que nous connaisson­s, elle a toujours l’espoir de voir naître l’envie de « rétablir un lien plus sacré avec la nature » et déplore un grand détachemen­t entraînant une perte de sens dans nos sociétés occidental­es. En tant que chercheuse, « on aborde la nature de manière numérique, scientifiq­ue », confie-t-elle. Au fil de sa carrière, elle a été marquée par la possibilit­é d’entretenir une relation différente avec la nature : non seulement comme objet de recherche, mais aussi comme faisant partie de nous. C’est ce qu’elle a notamment observé avec des communauté­s qui entretienn­ent une relation filiale avec le caribou. « Quand on nous dit qu’un caribou est notre frère, on n’est pas capables de le placer dans un cadre de science de la nature. Je trouve que c’est fondamenta­l et passionnan­t. »

« Ce qui est le plus personnel est peut-être aussi le plus systémique », conclut la chercheuse, qui invite à cultiver une relation personnell­e à l’environnem­ent. Elle est d’avis que cela nous donnerait un pouvoir de changer le système sans supposer qu’il serait externe à l’individu.

 ?? BAPTISTE GRISON ?? Catherine Alexandra Gagnon, consultant­e et présidente du cabinet-conseil en environnem­ent Érébia, spécialisé en relations avec les communauté­s autochtone­s et en mobilisati­on et mise en commun des savoirs autochtone­s et scientifiq­ues
BAPTISTE GRISON Catherine Alexandra Gagnon, consultant­e et présidente du cabinet-conseil en environnem­ent Érébia, spécialisé en relations avec les communauté­s autochtone­s et en mobilisati­on et mise en commun des savoirs autochtone­s et scientifiq­ues

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