Des nanocapteurs pour détecter des pesticides nocifs
Un laboratoire de Concordia a développé un système capable de détecter le glyphosate en très petites quantités
C’est une histoire entre TikTok, les nanoparticules, le travail acharné d’un laboratoire et le pesticide le plus connu sur la planète. Une équipe de l’Université Concordia a développé un système capable de détecter le glyphosate à partir de très faibles concentrations dans des liquides.
Le glyphosate demeure le pesticide le plus utilisé au Québec. Il a représenté près de la moitié des ventes de pesticides dans la province dans le dernier bilan disponible pour 2021. Présent sous différentes formules, il fait partie de la recette du Roundup, le populaire herbicide commercialisé d’abord par Monsanto. Bayer, qui a racheté cette entreprise, a dû mettre de côté 16 milliards de dollars américains pour couvrir le risque créé par plus de 160 000 poursuites judiciaires.
Tout projet scientifique a d’abord germé dans le cerveau d’un chercheur, et l’étincelle de celui-ci provient des réseaux sociaux. « Comme la plupart des jeunes de mon âge, je regardais TikTok et j’ai vu une petite vidéo comme quoi ils avaient retrouvé du glyphosate dans plus de 20 gruaux différents accessibles en épicerie », raconte Adryanne Clermont-Paquette.
Elle a compris que « ce n’était clairement pas une bonne chose à avoir dans nos aliments », et c’est de là que la volonté de pouvoir mieux le détecter est partie.
Doctorante en biologie et autrice principale de l’étude publiée à ce sujet, elle fait partie du Centre de recherche en nanosciences, qui inclut le laboratoire des matériaux avancés dirigé par le professeur Rafik Naccache, superviseur de ce projet de recherche. « Nous avions déjà un pan en recherche environnementale, où on regardait pour détecter des métaux nocifs dans les eaux, comme le mercure ou le plomb. Donc, c’est quelque chose qui était dans notre expertise », expose ce chimiste et chercheur en matériaux fonctionnels.
Le mécanisme
Pour détecter le glyphosate, l’équipe de Concordia utilise des nanoparticules appelées points de carbone. « La manière la plus simple d’expliquer est que si on prend un cheveu, c’est déjà mince. Il faut le diviser de 50 000 à 60 000 fois, et là, on parle d’une nanoparticule », dit M. Naccache.
Avec une taille de 10 nanomètres ou moins, ces nanoparticules de carbone ont des propriétés optiques très intéressantes, expliquent les deux scientifiques. « Quand on les excite avec une onde de lumière, elles vont générer une émission de couleur qu’on voit », expose le professeur Naccache.
« Nos nanoparticules ont chacune deux ondes de couleur quand on les met sur une source UV : le bleu et le rouge », poursuit Mme Clermont-Paquette. En mettant ces particules microscopiques dans des liquides qui contiennent du glyphosate, ce signal lumineux change de couleur.
La fluorescence bleue demeure constante, mais la rouge change d’intensité à cause des interactions à la surface des nanoparticules et du pesticide en question, décrit le professeur. C’est ce changement qui est mesuré et quantifié. C’est donc un système d’« autoréférence », avec comme point de référence le bleu, qui reste pareil. Cela permet de savoir avec assurance que le changement observé est véritablement à cause du glyphosate et pas à cause d’autres facteurs (comme le pH, par exemple).
C’est un « système spécifique orienté vers le glyphosate », qui permet de faire abstraction d’autres variables, explique la doctorante.
Cette technique permet de détecter l’herbicide, depuis des quantités très faibles jusqu’à des concentrations plus appréciables. D’ailleurs, les deux chercheurs ne sont pas des spécialistes de la toxicité, précisent-ils. Décider à quelle concentration ou exposition il est opportun de détecter n’est donc pas le but de leurs recherches. C’est plutôt de développer des outils — ces capteurs très petits — qui pourront servir à d’autres, à ceux qui cherchent à documenter la présence du glyphosate pour conclure à son effet nocif ou pas.
La suite des choses
Ce système a été testé en laboratoire pour l’instant, un environnement contrôlé. « Maintenant, on souhaite une extension de notre travail avec de vrais échantillons prélevés dans certains endroits précis », avance le professeur Rafik Naccache. Des échantillons de sol poseraient d’autres défis, puisqu’il s’agit d’une matière très complexe, avec beaucoup d’autres « interférences » qui pourraient agir sur les points de carbone.
L’idée est aussi de créer un système facile à utiliser et pas trop cher à produire. La détection de molécules dans l’environnement requiert généralement des équipements très chers et des techniciens ayant suivi de longues études.
« On essaie de mieux comprendre ce système, d’augmenter sa capacité ou encore de l’appliquer à d’autres espèces de molécules qui interviennent dans la pollution environnementale », ajoute d’ailleurs Adryanne Clermont-Paquette. Elle s’intéresse ainsi de près aux produits pharmaceutiques consommés par les humains qui se retrouvent dans les sources d’eau par l’entremise du réseau d’égouts.
Rappelons que le glyphosate a été désigné en 2015 en tant que « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer, une agence de l’Organisation mondiale de la santé. Santé Canada maintient toutefois son approbation de ce produit jusqu’en 2032, justifiant qu’elle a tenu compte du niveau d’exposition des Canadiens à l’herbicide.
La manière la plus simple d’expliquer est que si on prend un cheveu, c’est déjà mince. Il faut le diviser de 50 000 à 60 000 fois, et là, on parle d ’une nanoparticule.
RAFIK NACCACHE