Le Devoir

Je suis malade d’impuissanc­e

- Mounia Guessous L’autrice signe ce texte avec les yeux du coeur.

Ce soir, je ne suis pas capable de dormir, parce que j’ai mal. J’ai mal à ma planète, j’ai mal à ma maison, j’ai le mal de l’impuissanc­e.

L’hiver a commencé et je tentais de tempérer mon inquiétude en me disant que la neige viendrait en même temps que le froid. Les jours et les semaines passent, cet hiver dans ma ville, je n’ai pu compter que quelques journées de belle neige, qu’une journée pour aller glisser. Moi qui avais tant hâte à l’hiver pour la faire découvrir à mes amis nouvelleme­nt immigrants et à ma nièce qui découvre la vie.

Je regarde la météo, cette semaine, il a fait 10 degrés. Moi qui adore le printemps, je ne peux m’en réjouir ni en profiter pleinement, car il est trop tôt. Je m’attriste en me disant que la bonne vieille phrase qui renaît chaque printemps de génération en génération, « en avril ne te découvre pas d’un fil », est elle aussi en voie de disparitio­n… pour laisser place à un « en février on se bronze le fessier ».

Certaines personnes, autour de moi, me regardent avec de gros yeux ronds, lorsque je partage mon sentiment de ne pas avoir vécu un bel hiver (un autre symptôme de la dégradatio­n de notre environnem­ent) : « Ben non, voyons donc ! C’est parfait comme ça, il ne fait pas froid ! C’est un bel hiver ! » me répondent-ils. Ça fait quinze ans que je me dis « fais de ton mieux, la vie doit continuer, tu ne peux pas arrêter ta vie pour sauver la planète ».

Alors, je fais mes déplacemen­ts en transport en commun, en vélo, je mange végétarien, j’essaie d’acheter le plus possible en vrac (même si toutes les épiceries zéro déchet de mon quartier tombent comme des mouches), j’achète seulement ce dont j’ai besoin. Je continue même si je sais que le problème est plus grand que moi, comme le petit prince qui n’abandonner­a jamais l’entretien de sa planète.

Dans mon lit, les yeux écarquillé­s de préoccupat­ions et d’un ardent désir de trouver un moyen de faire entendre notre détresse, mon coeur bat d’urgence et d’injustices, mais je sais que ce n’est pas nouveau et que je ne suis pas la première. Nous sommes des milliards à crier « urgence ». Je me demande ce que je peux faire pour qu’enfin l’état d’urgence soit déclaré par nos gouverneme­nts ; faire une grève de la faim, aller militer dans la rue, écrire des articles, faire des documentai­res, escalader des ponts, arrêter de travailler, arrêter d’aller à l’école ! ? !

D’autres l’ont fait avant moi et j’admire leurs engagement­s : Greta Thunberg, Xiuhtezcat­l Martinez, Mères au front, plus de 500 000 personnes à la marche pour le climat le 27 septembre 2019 (seulement) à Montréal, des communauté­s autochtone­s qui protègent leurs terres, la santé mentale des militants environnem­entaux qui se dégradent, des citoyens qui créent des projets écorespons­ables, Plus rien des Cowboys Fringants, Ensemble de Jay Scott, « La nature selon Boucar », des documentai­res comme La Terre vue du coeur, des terres fruitières biologique­s, des projets et des recherches pour contrer les désastres écologique­s, des rapports qui décrivent les inégalités et les dangers que causent les changement­s climatique­s, des militants qui montent sur des ponts en espérant que ce soit assez grand pour que l’on se fasse entendre, et j’en passe !

Ce n’est pas la créativité qui manque partout sur la planète. Qu’est-ce qu’il faut faire pour avoir la chirurgie et sortir de la maison qui rend fou d’Astérix et Obélix : Les douze travaux du greenwashi­ng ? J’ai l’impression que c’est comme si nous avions une jambe coupée en deux et que nous devions constammen­t aller voir le médecin pour le convaincre de nous opérer d’urgence. L’évidence est là. Agissez. Nous n’avons plus à nous prouver.

Vous avez été capable de déclarer l’état d’urgence pour la COVID-19, mettre le monde entier sur pause. Entreprise­s et gouverneme­nts, vous êtes capables de nous sauver. Les scientifiq­ues disent qu’il ne reste qu’une toute petite ouverture à la porte pour nous sauver d’un tragique destin mondial. C’est une braise d’espoir assez fragile, mais assez grande pour mettre votre pied à terre pour sauver ce qui nous est de plus précieux : l’existence improbable de notre écosystème terrestre dans ce vaste cosmos.

Peut-être que pour vous, ce ne sont que des mots, des actions futiles, un spectacle qui n’effleure guère votre confort. Alors, je ne peux que vous souhaiter de la compassion envers vous-même et envers les autres.

Déclarez l’état d’urgence climatique. Prenez des actions radicales. Cette année. Parce qu’à quoi servent la cupidité et le consuméris­me si c’est pour terminer comme Jonah Hill dans le film Déni

cosmique (Don’t look up) ?

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