Le Devoir

Quel cinéma ? U

- ALAIN MCKENNA

n producteur hollywoodi­en vient d’annuler la constructi­on pour 800 millions de dollars de nouveaux studios parce qu’il craint pour l’avenir de son industrie. Incarnée par une intelligen­ce artificiel­le (IA) appelée Sora, la prochaine génération d’outils informatiq­ues va, selon lui, réduire considérab­lement les besoins de tournage pour le cinéma et la télévision.

Pendant ce temps, à Laval, on est en train de transforme­r des terres cultivable­s et inutilisée­s en de nouveaux et énormes bâtiments dans lesquels les producteur­s étrangers pourront venir créer leurs prochains films et futures séries télévisées. C’est un beau pari : la grande région de Montréal peut toujours essayer d’augmenter sa part du gâteau cinématogr­aphique nord-américain.

Mais le pari est plus risqué si le gâteau devient un gâtelet.

Ce n’est pas une situation strictemen­t technologi­que : le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ) s’inquiète lui aussi. On assiste ces jours-ci à un rebond du nombre de tournages qui ont lieu présenteme­nt à Montréal, où ça va mieux en ce moment qu’à Toronto ou à Vancouver. Il est provoqué par un rattrapage des activités arrêtées durant la grève des scénariste­s et des acteurs américains de l’an dernier.

L’an dernier, les tournages de films étrangers au Québec ont rapporté 523 millions de dollars, selon le bilan annuel du BCTQ. On ne sait pas si on atteindra cette somme en 2024, car la tendance des dernières années est à la baisse.

Quand cela va se calmer, probableme­nt à partir de cet été, le BCTQ se demande si le Québec pourra concurrenc­er les provinces canadienne­s et les États américains qui proposent d’importants incitatifs financiers pour que soient tournés des séries et des films à grand déploiemen­t sur leur territoire.

L’un de ces États, c’est la Géorgie. C’est l’un des lieux de tournage les plus achalandés d’Amérique du Nord. La valeur des tournages y atteint chaque année plus de 4 milliards de dollars américains. Le sommet a été atteint juste avant la pandémie, alors que la valeur totale des tournages atteignait 9,5 milliards. La Géorgie octroie un crédit d’impôt de 20 % aux producteur­s étrangers, qui est bonifié de 10 % si son logo promotionn­el — une grosse pêche — apparaît au générique.

Ce que le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec demande, pour relancer son industrie dans la province, c’est justement de bonifier l’aide gouverneme­ntale aux tournages étrangers réalisés ici. Après tout, ça crée des jobs.

L’essor de Sora

Le projet cité plus haut d’agrandir pour 800 millions de dollars américains des studios de tournage ? C’était à Atlanta que cela devait se produire. La capitale de la Géorgie, où la production audiovisue­lle est déjà généreusem­ent subvention­née. Il était piloté par Tyler Perry.

Il est moins connu chez nous, mais l’homme est une grosse pointure aux États-Unis. Il a occupé à peu près tous les rôles qui existent à l’écran (et derrière), d’acteur à scénariste. Il est aujourd’hui producteur.

Au Hollywood Reporter, Tyler Perry a dit ceci : « Je regarde de très près les avancées en IA. Je travaille depuis quatre ans sur ce projet d’expansion de 800 millions, qui aurait agrandi de façon gigantesqu­e nos scènes de tournage extérieure­s et qui aurait permis d’ajouter 12 studios d’enregistre­ment sonore. J’ai mis tout ça en veilleuse de façon indétermin­ée à cause de ce que j’ai pu voir de Sora. »

Sora, c’est la nouvelle créature d’OpenAI, l’entreprise à l’origine de ChatGPT. Oui, c’est encore de l’intelligen­ce artificiel­le. On n’en sort pas. En tout cas, pas encore. Sora pousse un peu plus loin ce que d’autres outils du même genre mis en ligne ces derniers mois font déjà : elle crée des animations vidéo de toutes pièces, d’allure presque aussi véridique que s’il s’agissait d’un extrait de film hollywoodi­en. Les vidéos produites par OpenAI — Sora n’est pas encore entièremen­t publique — sont d’une résolution comparable à celle d’un film. Leur durée maximale pour le moment est d’une minute.

Sora « est un modèle d’IA qui peut créer des scènes réalistes et imaginativ­es à partir d’instructio­ns écrites », explique la firme au coeur de cette révolution. « Nous lui enseignons à comprendre et à simuler le monde réel en mouvement, avec l’objectif de créer un modèle d’IA capable de régler les problèmes qui nécessiten­t une interactio­n dans le vrai monde. »

Voilà pour la théorie. La pratique est évidemment perfectibl­e. On trouve régulièrem­ent des « hallucinat­ions », le nom donné par les experts aux erreurs ou aux incohérenc­es générées par les technologi­es d’IA. Les fameuses mains à six ou sept doigts ou ces contorsion­s faites par des personnage­s vivants qui défient toute règle de l’anatomie ou de la physique, par exemple.

Mais ce qui compte, en IA, ce n’est pas ce qu’on voit aujourd’hui : c’est ce qu’on verra dans deux ans. Ou dans cinq ans.

Il y a deux ans, créer et compiler une vidéo truquée nécessitai­t un avant-midi de bidouillag­e sur un PC plutôt puissant. Aujourd’hui, on trouve des dizaines de sites Web qui font la même chose en une minute. En ce moment, Sora crée des vidéos d’une minute. Gemini, l’IA de Google, peut déjà digérer plus d’une heure de film et recommande­r des améliorati­ons pour éviter les critiques négatives.

Dans deux ans, de quoi seront remplis les studios de tournage ? D’acteurs ou de programmeu­rs ?

L’an dernier, les tournages de films étrangers au Québec ont rapporté 523 millions de dollars, selon le bilan annuel du Bureau du cinéma et de la télévision du Québec. On ne sait pas si on atteindra cette somme en 2024, car la tendance des dernières années est à la baisse.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada