Le Devoir

Mahler à pleines dents avec Pentaèdre

La 4e Symphonie de Mahler selon Klaus Simon est autant une révélation qu’une réduction

- CHRISTOPHE HUSS LE DEVOIR

Le quintette à vent Pentaèdre s’associait samedi, à la salle Bourgie, au quatuor à cordes Penderecki et à quelques comparses musiciens pour proposer la 4e Symphonie de Mahler dans la version réduite de Klaus Simon. Ce concert court, mais gourmand, augmenté d’une création de Julien Bilodeau, a mis en valeur de manière éclatante le génie transcript­eur de Simon.

Les réductions de symphonies de Mahler par Klaus Simon, pianiste, chef et compositeu­r allemand de 55 ans, spécialist­e des arrangemen­ts pour ensembles de chambre, ont attiré une soudaine attention au moment de la pandémie, alors qu’il était devenu impossible de loger un orchestre entier sur scène.

Il s’agit pourtant bien plus que d’une simple réduction de taille et de moyens. La culture de Simon lui permet de se référer au genre de la Hausmusik (musique domestique) en vogue au XIXe siècle et des réductions de salon telles qu’elles étaient pratiquées au début du XXe siècle, donc au temps de Mahler. On peut penser ici aux fameux arrangemen­ts de valses viennoises par Berg, Webern et Schoenberg.

Racines terriennes

Il ne s’agit donc pas forcément de « réduire un orchestre symphoniqu­e », mais d’utiliser également avec astuce des instrument­s non orchestrau­x, ici le piano et l’accordéon. Ce dernier prend la place de l’harmonium utilisé au siècle dernier. Il peut assurer les pédales (notes tenues), par exemple au début du 3e mouvement avec l’alto, le violoncell­e et la contrebass­e. Quant au piano, il est capital dans la découpe des notes répétées ou la carrure rythmique, par exemple au début de la symphonie.

Évidemment, ce qui change, ce sont les balances, puisque des vents se retrouvent derrière un simple quatuor. Il y a aussi le fait que ce qui peut faire l’objet de fondus enchaînés sonores à l’orchestre n’est pas possible ici. Certaines transition­s du développem­ent du 1er mouvement sont apparues un peu alambiquée­s. D’ailleurs, la responsabi­lité individuel­le en est accrue, comme on l’a vu avec l’altiste une fraction de seconde à la fin du mouvement lent.

Comme pour redoubler l’effet, loin de jouer une réduction d’une symphonie de Mahler, Pentaèdre, les Penderecki et leurs collègues ont joué un décapage souvent fascinant qui rendait Mahler à la rudesse agreste de sa Moravie natale. Avec ces arêtes et cette franchise des sonorités, on visualisai­t aussi les prairies, lacs et montagnes de Toblach, où Mahler composait.

Contrairem­ent à la plupart des interpréta­tions de cette réduction, plutôt légères et allantes, les musiciens québécois ont mis en avant des couleurs, des timbres : le cor, le hautbois, les alliages flûte-violon. C’était Mahler croqué à pleines dents, dans son jus, à tel point que la « vraie » 4e Symphonie paraissait parfois, quand on y pensait, à un élargissem­ent de cette sève-là.

Magali Simard-Galdès possède une excellente voix pour le solo. Elle a, comme dans l’oeuvre de Julien Bilodeau, particuliè­rement réussi une fin subtile et émouvante. Elle devrait, à notre avis, matérialis­er plus fermement le début de ses phrases plutôt que de les commencer de façon un peu anecdotiqu­e et de les amplifier, surtout lorsque, comme ici, les musiciens font peu d’efforts pour se plier à ses nuances.

En première partie, Toute l’amplitude féconde, de Julien Bilodeau, mettait en musique pour le même effectif (limité seul au quatuor à cordes et quintette à vent) le second vers du poème non titré, connu sous le nom d’« Il existe pourtant des pommes et des oranges », de Marie Uguay, paru dans le recueil L’outre-vie, en 1979. Pour préparer à ces mots, Bilodeau conçoit une oeuvre en deux parties. La première est purement instrument­ale avec l’idée que « la musique sans mot est une nature sans nom ». Dans la seconde, « la voix apparaît sur une voyelle, avant que le mot ne devienne “le plein arrêt dans le moment, tout l’éparpillem­ent continu du temps” (Signe et rumeur, 1976) et que “de ce temps, [se] reconstitu­e votre regard” (Poème en prose, posthume). »

OEuvre très réfléchie, donc, qu’il s’agira de réentendre, idéalement avec un préambule explicatif du compositeu­r, pour en saisir les dimensions et notamment la relation entre le texte et les timbres, qui n’apparaît pas à la première audition.

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