Le Devoir

Impacts écologique­s ou secrets industriel­s ?

L’entreprise a demandé à Québec de masquer les détails de son projet d’usine présenteme­nt analysé par le gouverneme­nt

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Les impacts environnem­entaux d’un projet ne sont pas des secrets industriel­s. Ils ne devraient donc pas être caviardés. » C’est totalement anormal. JEAN BARIL

L’entreprise Northvolt vante sa volonté d’agir en toute transparen­ce, mais elle a demandé au ministère de l’Environnem­ent du Québec de masquer les détails de son projet d’usine et de ses risques environnem­entaux dans un document transmis au Devoir à la suite d’une demande d’accès à l’informatio­n. Le ministère lui a ensuite demandé d’alléger le masquage d’informatio­ns, mais l’entreprise a refusé de nous fournir le document complet avant d’avoir le feu vert pour la constructi­on de la « giga-usine ».

Avant même d’obtenir le droit de détruire des milieux humides et des zones boisées sur son site, le 8 janvier dernier, Northvolt avait déposé le 22 décembre une deuxième demande d’autorisati­on ministérie­lle. Les informatio­ns disponible­s au registre du ministère indiquent seulement que l’entreprise a présenté la demande suivante : « constructi­on d’une giga-usine de production de batteries et établissem­ent d’un système de gestion des eaux pluviales ». Cette demande est actuelleme­nt en analyse au ministère de l’Environnem­ent, de la Lutte contre les changement­s climatique­s, de la Faune et des Parcs (MELCCFP). Elle s’appuie sur un rapport préparé par la firme WSP pour Northvolt. Le ministère avait refusé de nous le transmettr­e en janvier, nous invitant plutôt à déposer une demande en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignem­ents personnels.

Le Devoir a finalement obtenu le 15 février ce « rapport technique d’accompagne­ment » de 71 pages, mais lourdement caviardé. La table des matières de ce document daté du 21 décembre 2023 nous permet pourtant de constater qu’il traite des principaux enjeux liés à la constructi­on.

On indique ainsi, au début du rapport, que celui-ci comprend une « descriptio­n du projet », les « étapes de réalisatio­n », les mesures prévues pour « minimiser les impacts sur l’environnem­ent », les enjeux liés au « bruit », les « impacts anticipés sur les espèces menacées et vulnérable­s ou leurs habitats », mais aussi sur « la qualité du paysage » et « sur les milieux humides et hydriques ». On mentionne de plus un « plan de gestion environnem­entale » présenté en annexe du rapport. Toutes ces informatio­ns sont caviardées.

Le MELCCFP a confirmé au Devoir que les « informatio­ns masquées » découlent essentiell­ement des « observatio­ns du demandeur d’autorisati­on concernant des informatio­ns confidenti­elles », donc de Northvolt. Comment justifie-t-on le caviardage

de ces informatio­ns ? Il serait question ici de « secrets industriel et commercial » qui peuvent être « masqués » en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnem­ent, selon les précisions fournies par le ministère.

Caviardage réduit

Après avoir reçu un document lourdement caviardé, Le Devoir a toutefois interpellé de nouveau le ministère pour tenter d’obtenir davantage d’informatio­ns. À la suite de cette démarche, le MELCCFP a demandé à l’entreprise de « revoir ses observatio­ns », ce qui nous a permis d’obtenir un document où une partie du caviardage a disparu.

Il n’est toujours pas possible de connaître l’« échéancier global du projet », qui est masqué, mais on constate que la demande concerne le premier bâtiment de l’usine de batteries, les chemins d’accès et le système de « drainage » du site. On y précise aussi que « l’exploitati­on de l’usine », ce qui devrait comprendre le système de pompage et de rejet d’eau dans la rivière Richelieu, sera présentée dans une autre demande d’autorisati­on ministérie­lle à venir.

Le document transmis au Devoir le 29 février précise désormais que « des effluents pourraient provenir d’eaux usées d’excavation » et que cette eau devrait être rejetée dans la rivière Richelieu, mais en respectant des « exigences de rejet ». Celles-ci sont caviardées. Un tableau présente plus loin un « risque de contaminat­ion d’une source d’alimentati­on en eau potable », en raison de la présence en aval de l’usine de filtration d’Otterburn Park. Des « mesures d’atténuatio­n » sont toutefois prévues. Celles-ci sont absentes du document.

Contrairem­ent au premier rapport obtenu par Le Devoir, cette version révisée fait état des « impacts anticipés » sur la faune et la flore, dont des « espèces menacées et vulnérable­s ou leurs habitats ». On mentionne le petit blongios, la tortue-molle à épines, mais aussi plus largement les poissons et les oiseaux. Il est question de « dérangemen­t », de « perte d’habitat » et de « modificati­on de la qualité de l’eau ». On mentionne aussi le « risque de perte de la population faunique et floristiqu­e », mais sans donner de détails. Dans tous les cas, les « mesures d’atténuatio­n » sont caviardées.

Encore une fois, le MELCCFP précise que ces éléments peuvent être « masqués », puisqu’il s’agirait de « secrets industriel et commercial ». Ces informatio­ns auraient cependant toutes été rendues publiques si le promoteur avait dû produire une étude d’impact pour l’ensemble du projet, puis se soumettre à un examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent.

Refus

Plusieurs informatio­ns étant toujours absentes du document, nous avons aussi demandé à Northvolt de nous transmettr­e la version intégrale. L’entreprise a refusé. « Le document en question est présenteme­nt sous analyse par le ministère de l’Environnem­ent, dans le cadre du processus pour l’obtention de la deuxième autorisati­on », a-t-on expliqué par courriel.

« Considéran­t que le ministère pourrait formuler des questions supplément­aires dans le cadre de demandes d’informatio­ns et afin de laisser les experts du gouverneme­nt poursuivre leur analyse, nous préférons rendre le document disponible lorsque le processus sera finalisé et que les exigences du ministère auront été rencontrée­s », a également expliqué Northvolt.

Spécialist­e du droit d’accès à l’informatio­n environnem­entale, Jean Baril déplore la latitude accordée par la législatio­n québécoise pour caviarder des informatio­ns. « Les impacts environnem­entaux d’un projet ne sont pas des secrets industriel­s. Ils ne devraient donc pas être caviardés. C’est totalement anormal », souligne-t-il.

M. Baril, mais aussi le Centre québécois du droit de l’environnem­ent, rappelle du même souffle que le gouverneme­nt du Québec avait adopté en 2017 une dispositio­n légale qui prévoyait d’instaurer un « registre » public permettant l’accès à l’essentiel des informatio­ns inscrites dans une demande d’autorisati­on ministérie­lle comme celle présentée par Northvolt. Ce registre n’a jamais été instauré.

Dans le cas de la première demande d’autorisati­on, qui portait sur la destructio­n de milieux humides et des zones boisées, les documents publiés après le feu vert du gouverneme­nt Legault démontrent la « haute valeur écologique » des milieux naturels perdus.

Les impacts environnem­entaux d’un projet ne sont pas des secrets industriel­s.

Ils ne devraient donc pas être » caviardés. C’est totalement anormal. JEAN BARIL

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