Le Devoir

Près de 60 000 dossiers d’immigratio­n approuvés bloqués à Ottawa par les cibles de Québec

- SARAH R. CHAMPAGNE LE DEVOIR

Alors que les ministres de l’Immigratio­n se défient et se déchirent, les dossiers d’immigratio­n déjà approuvés pour la résidence permanente ne cessent de s’empiler à Ottawa. Créé par la divergence entre les demandes acceptées et les seuils de Québec, le goulot d’étrangleme­nt s’épaissit aussi de plus en plus vite.

L’immigratio­n est une compétence partagée entre les deux ordres de gouverneme­nt, mais il reste que le ministère fédéral de l’Immigratio­n, des Réfugiés et de la Citoyennet­é (IRCC) s’efforce « de respecter les demandes du Québec quant au nombre de nouveaux résidents permanents », nous écrit-on. Une personne jugée admissible à la résidence permanente par toutes les instances est donc en attente d’une place dans les seuils de la province.

Il y a ainsi 38 000 réfugiés déjà reconnus qui vivent au Québec, pour un seuil maximum de 3700 places fixé par le gouverneme­nt de François Legault pour 2024 et 2025. Au rythme actuel, il faudra donc plus de 10 ans pour que tous obtiennent pleinement leur résidence permanente.

Entretemps, ces personnes ont accès aux services et peuvent travailler, mais elles ne peuvent pas demander de carte de résidence permanente. Ces années compteront-elles avant l’obtention de la citoyennet­é ? IRCC reste muet sur ces éléments malgré nos questions.

« Il n’existe aucun délai maximal », nous écrit aussi ce ministère, pour sortir de ces nouveaux limbes.

Le ministre Marc Miller n’en fait pas mention dans la lettre envoyée à son homologue provincial­e, Christine Fréchette. Il s’indigne plutôt des 24 à 50 mois que prend le traitement d’une demande de réunificat­ion familiale, un délai inférieur à celui pour les réfugiés reconnus sur place.

En matière de parrainage familial, il y aurait 20 500 demandes en attente de traitement, pour une cible de 10 400 fixée par Québec. Les délais affichés montent par exemple à 34 mois pour le parrainage un conjoint de l’extérieur du pays, alors qu’il faut patienter 12 mois dans les autres provinces.

Mécanique

Une mécanique similaire s’opère dans les deux cas. Il ne s’agit plus d’une simple antichambr­e de l’immigratio­n ou d’un ralentisse­ment bureaucrat­ique, puisque la province a déjà décerné un Certificat de sélection du Québec (CSQ). De l’autre côté, elle transmet aussi un nombre maximal de dossiers à traiter au ministère fédéral.

La personne est donc ironiqueme­nt « sélectionn­ée » par Québec, mais sa demande de résidence stagne à Ottawa, car le ministère respecte les maximums établis par la province, en vertu d’un accord intergouve­rnemental.

Dans le cas des réfugiés reconnus sur place, la personne a déjà vu sa demande d’asile accueillie par la Commission de l’immigratio­n et du statut de réfugié (CISR).

Après une décision favorable, le demandeur d’asile devient une « personne à protéger » et peut demander la résidence permanente. Il se tourne donc vers le ministère provincial de l’Immigratio­n, qui lui décerne un CSQ, ce qui fut longtemps une simple formalité.

Cet arriéré de réfugiés en attente a aussi augmenté de 8000 personnes en six mois, selon les chiffres déjà publiés par Le Devoir en août dernier.

Durant les consultati­ons sur la planificat­ion de l’immigratio­n de l’automne dernier, des groupes communauta­ires ont suggéré de compter ces personnes en dehors des seuils de résidents permanents, à l’instar des étudiants étrangers.

« Plus de 33 500 personnes dont la demande a été refusée, abandonnée ou retirée par la CISR » avaient aussi une adresse au Québec, dit IRCC. Elles pourraient avoir quitté le pays, mais il n’y en a aucune confirmati­on. Ce sont donc plutôt 89 000 demandeurs d’asile qui se trouveraie­nt sur le territoire québécois, écrit IRCC.

Québec utilise le nombre de 160 000 demandeurs d’asile pour justifier ses demandes de remboursem­ent à Ottawa, une donnée comptabili­sée par Statistiqu­e Canada sans égard à l’état d’avancement de leur demande.

En matière de réunificat­ion, plusieurs familles ont lancé des cris du coeur dans Le Devoir dans la dernière année pour s’insurger contre ces délais qui séparent parfois des enfants de l’un de leurs parents. Ce sont bel et bien les cibles en immigratio­n de Québec qui ralentisse­nt le regroupeme­nt familial, avait alors déjà confirmé Ottawa.

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