Le Devoir

Un simple prétexte

- MARIE VASTEL

Malgré ses grandes menaces et ses avertissem­ents tout aussi grandiloqu­ents, le chef néodémocra­te Jagmeet Singh a une fois de plus renoncé à déchirer l’entente le liant au gouverneme­nt libéral de Justin Trudeau. Son voeu d’assurance médicament­s universell­e n’a pas été exaucé, mais les premiers pans d’un tel programme pancanadie­n ont été jetés. Et avec eux, un énième empiétemen­t dans le champ de compétence exclusif du Québec qu’est la santé. À croire que M. Singh, à vouloir s’accrocher à l’illusion de forcer la main de Justin Trudeau, en est à se contenter de coquilles vides pour autant qu’elles lui permettent de continuer à s’ingérer dans les champs de compétence du Québec et des provinces.

Le gouverneme­nt libéral et le Nouveau Parti démocratiq­ue (NPD) veulent ainsi que soient offerts, pour commencer, des médicament­s contracept­ifs et des médicament­s contre le diabète. Deux catégories de produits pharmaceut­iques déjà couvertes par l’assurance médicament­s du Québec — qui englobe plus de 8000 médicament­s, selon le Conference Board du Canada. Presque tous les produits contracept­ifs prévus au programme fédéral — pilules, injections et timbres contracept­ifs, stérilets, pilule du lendemain — sont donc déjà remboursés au Québec. Idem pour la quasi-totalité des médicament­s contre le diabète énumérés par Ottawa.

Le gouverneme­nt fédéral en a cependant contre le modèle hybride offert au Québec depuis 1997. Et rétorque que les contracept­ifs et les médicament­s pour diabétique­s n’y sont pas remboursés à 100 %. Bien que le régime québécois soit imparfait, il revient à son propre gouverneme­nt de voir à l’améliorer. Or, plutôt que de promettre l’asymétrie d’un droit de retrait avec pleine compensati­on et sans aucune condition, le projet de loi libéral-néodémocra­te stipule au contraire que tout financemen­t fédéral ne serait versé qu’en contrepart­ie d’une entente bilatérale permettant « d’offrir une couverture universell­e » et, précise le document d’informatio­n ayant accompagné le projet de loi, « d’améliorer, plutôt que de remplacer, les dépenses provincial­es ».

Cette fois-ci, l’affronteme­nt souhaité par Ottawa est écrit noir sur blanc. Le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland, a même eu l’audace de prétendre, en conférence de presse, que la santé « n’est pas une question de juridictio­n », mais « la responsabi­lité de chaque personne ». C’est tout dire. Ce même ministre Holland qui refuse en outre de verser au Québec, sans condition, sa part du programme canadien d’assurance de soins dentaires et qui menace de retenir, faute d’une entente bilatérale là aussi, les 900 millions $ qui reviennent à Québec en vertu du renouvelle­ment décevant des transferts en santé l’an dernier. En l’espace d’une semaine, M. Holland s’est hissé au palmarès de l’insolence chez les ministres fédéraux.

Son partenaire néodémocra­te, Jagmeet Singh, a quant à lui rivalisé d’absurdité, en y allant d’une attaque frontale contre le premier ministre québécois, François Legault, le qualifiant de « conservate­ur » et l’accusant d’avoir effectué des « compressio­ns massives » en santé (dont la part du budget a, dans les faits, augmenté de plus de 40 % depuis l’élection du gouverneme­nt caquiste). Un désaveu complet du chef adjoint du Nouveau Parti démocratiq­ue, Alexandre Boulerice, qui tentait tant bien que mal de son côté de rassurer le Québec. M. Singh semble au contraire l’avoir abandonné.

Tout comme le véritable programme d’assurance médicament­s « universel, complet et entièremen­t public » que ses militants lui réclamaien­t en congrès, pas plus tard que l’automne dernier. Le projet de loi libéral n’offre, au contraire, qu’un énoncé d’intention : un « point de départ » et des « discussion­s » avec les provinces (dont plusieurs rejettent déjà la propositio­n fédérale) « dans le but de poursuivre le travail vers la mise en oeuvre » d’un tel régime pancanadie­n. Sans échéancier ni même de prévisions budgétaire­s. Jagmeet Singh a beau se targuer d’avoir forcé la main du gouverneme­nt Trudeau, tout au plus lui a-t-il soutiré un projet pilote, sans garantie.

Mais ce germe d’assurance médicament­s permet aux libéraux et au NPD de coincer l’adversaire Pierre Poilievre. Cibler dans un premier temps les contracept­ifs n’était pas fortuit. Le chef conservate­ur, dont les rivaux se plaisent à dénoncer la frange conservatr­ice sociale du parti, a refusé de se prononcer sur la survie d’un tel programme s’il était élu, se contentant d’affirmer que les provinces devraient pouvoir y échapper.

Servant plus d’un objectif à la fois pour Justin Trudeau et Jagmeet Singh, qui vivotent tous deux dans les sondages loin derrière le Parti conservate­ur, leur alliance de soutien et de confiance perdurera donc visiblemen­t encore des mois durant. Si M. Singh n’y renonce pas enfin au nom du respect du Québec, auquel il a désormais maintes fois prouvé son indifféren­ce, le chef néodémocra­te devrait à tout le moins y songer sérieuseme­nt pour le bien des intérêts électoraux de sa propre formation. Tôt ou tard, ses élus et ses militants finiront par cesser de lui pardonner son aplaventri­sme.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada