Juste pour rire à l’abri de ses créanciers
Le groupe met à pied 75 personnes, soit 70 % de ses effectifs, et annule son festival prévu cet été
Une chose est sûre, c’est que ce qui se passe aujourd’hui est une mauvaise nouvelle pour le milieu de l’humour SYLVAIN PARENTBÉDARD »
Le Groupe Juste pour rire (JPR) se place à l’abri de ses créanciers et licencie 70 % de son effectif. Le festival prévu cet été est annulé. Plusieurs humoristes dont le spectacle est produit par l’entreprise sont pour leur part forcés de revoir leur plan de tournée.
L’entreprise montréalaise en a fait l’annonce mardi matin par voie de communiqué. « Après avoir envisagé toutes les possibilités, le conseil d’administration de JPR est arrivé à la conclusion que la situation financière de l’organisation ne laissait d’autre choix que d’entamer des procédures de restructuration », peut-on y lire.
Juste pour rire espère être en mesure, au terme de ces compressions, d’organiser un festival en 2025.
La semaine dernière, Le Devoir révélait justement que JPR connaissait des difficultés financières majeures et que de dures annonces étaient à venir. En décembre, la compagnie avait déjà procédé à au moins une dizaine de licenciements. Le président-directeur général des cinq dernières années, Charles Décarie, avait aussi quitté ses fonctions dans la foulée. L’été dernier, sous prétexte que la formule était épuisée, le festival avait annoncé la fin des galas, un concept qui était pourtant à l’origine du succès de ce qui reste l’un des plus grands événements d’humour dans le monde.
Le Groupe a annoncé mardi matin le licenciement de 75 employés dans toutes les divisions de l’entreprise, tant à l’organisation du festival qu’à la production télé et de spectacles. Cette restructuration touche autant Juste pour rire que son pendant anglophone, Just for Laughs. La haute direction actuelle demeure en place.
Par ailleurs, JPR se retire de la production des spectacles de Jean-Sébastien Girard, Eve Côté, Neev, Mélanie Couture et Louis T. Sur leur page Facebook respective, ils ont tous indiqué travailler à trouver des solutions pour que leurs tournées se poursuivent quand même. Les détenteurs de billets sont appelés à ne pas se faire rembourser.
Annoncée en grande pompe il y a à peine quelques mois, la comédie musicale Waitress mettant en vedette Marie-Ève Janvier perd aussi son producteur. Aucune annonce sur l’avenir de la pièce n’a été faite. Les spectacles de Messmer qui étaient prévus durant le festival n’auront pas lieu non plus, mais les représentations ailleurs au Québec sont maintenues.
Conjoncture difficile
Pour expliquer ses difficultés, le Groupe Juste pour rire cite officiellement la pandémie et la forte poussée inflationniste qui a suivi. « Parallèlement, le milieu de l’industrie des médias a radicalement changé au cours des dernières années. La consolidation et la réduction des budgets des réseaux et des plateformes de diffusion en continu ont rendu la production télévisuelle plus difficile », est-il aussi écrit dans le bref communiqué de presse diffusé mardi.
Certains soulignent toutefois que les difficultés de l’entreprise sont bien antérieures au contexte économique actuel. Pour beaucoup, en fait, JPR ne s’est jamais vraiment remis du scandale qui a provoqué la chute du magnat de l’humour Gilbert Rozon en 2017. Visé par des allégations de nature sexuelle, le fondateur de Juste pour rire avait vendu son entreprise à des intérêts américains l’année suivante pour 65 millions de dollars, une somme largement inférieure à ce que valait à l’époque le fleuron québécois.
Selon nos informations, l’image de marque de la compagnie est toujours plombée par l’affaire Rozon. Plusieurs vedettes qui étaient représentées par JPR ont d’ailleurs quitté le navire dans les dernières années. De plus, des entreprises seraient encore hésitantes à s’associer avec le festival, ce qui complique la recherche de commanditaires.
Fondé en 1983, le Groupe Juste pour rire est aujourd’hui détenu à 51 % par Bell et le Groupe CH. L’agence américaine CAA possède de son côté 49 % des parts. JPR a laissé savoir mardi qu’il n’était pas impossible que l’entreprise soit vendue en totalité ou en partie. ComediHa !, son principal compétiteur, n’a pas écarté l’idée d’entreprendre des discussions à ce sujet.
« En 2018, quand Juste pour rire était à vendre, on était intéressé. Il est encore trop tôt pour dire ce que l’on fera. Mais une chose est sûre, c’est que ce qui se passe aujourd’hui est une mauvaise nouvelle pour le milieu de l’humour », a affirmé le président de ComediHa !, Sylvain Parent-Bédard.
Aide réclamée
Les réactions du milieu politique n’ont pas tardé après l’annonce du Groupe Juste pour rire mardi. « L’humour fait partie intégrante de notre culture et nous allons continuer de le soutenir. J’ai demandé aux équipes de la Ville de Montréal de prendre contact avec l’organisation pour évaluer les suites envisagées », a écrit sur X la mairesse de Montréal, Valérie Plante.
Le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, a pour sa part salué le « riche héritage » de Juste pour rire.
Le président-directeur général du Regroupement des événements majeurs internationaux, Martin Roy, a directement interpellé le gouvernement fédéral pour qu’il accentue son aide aux festivals. Sans quoi les responsables d’autres événements d’importance pourraient faire les mêmes choix que JPR, craint-il.
« Les festivals offrant des programmations gratuites sont parmi les institutions culturelles les plus touchées par la crise actuelle. Même si l’assistance augmente, ça n’a pas vraiment d’importance. Les coûts ont explosé depuis la pandémie, mais les subventions et les commanditaires n’ont pas augmenté en conséquence », explique M. Roy.
À Ottawa, on reconnaît « la difficulté de la situation » dans laquelle se trouve Juste pour rire. Le cabinet de la ministre du Patrimoine, Pascale St-Onge, s’est aussi dit déterminé à aider le festival, tout en rappelant que l’événement montréalais a déjà bénéficié d’une aide de 5,5 millions de dollars pour la période allant de 2020 à 2025.