Le Devoir

La Maison St-Raphaël devra offrir l’aide médicale à mourir

La Loi concernant les soins de fin de vie demeurera intacte jusqu’au procès qui examinera sa validité constituti­onnelle

- STÉPHANIE MARIN

La Maison de soins palliatifs StRaphaël, installée dans une ancienne église catholique propriété de l’archevêché de Montréal, devra pour l’instant offrir l’aide médicale à mourir, même si cela contrevien­t aux principes de la foi chrétienne. L’institutio­n religieuse avait demandé que le récent article de loi qui oblige désormais toutes les maisons de soins à l’administre­r soit suspendu dans l’attente du procès qui déterminer­a s’il est constituti­onnel ou pas.

Dans son jugement daté du 1er mars, la juge Catherine Piché, de la Cour supérieure, a rejeté la demande de sursis formulée par l’archevêque. Elle a aussi refusé une exemption qui aurait été valide pour la seule Maison St-Raphaël, située dans l’arrondisse­ment montréalai­s de Côte-des-Neiges.

« Malgré l’intérêt significat­if des demandeurs à protéger leurs croyances religieuse­s, cet intérêt a moins de poids devant le droit pour les Québécois d’accéder au soin de leur choix, y inclus à l’aide médicale à mourir, à la Maison St-Raphaël », écrit-elle.

Ce litige n’est évidemment pas terminé, mais il peut s’écouler des années avant qu’un jugement se prononce sur la validité de cet article de la Loi concernant les soins de fin de vie.

Mardi, Québec s’est réjoui de la décision rendue. « L’aide médicale à mourir est un soin et tous les Québécois doivent y avoir accès, peu importe le milieu où ils se trouvent. La loi est claire, les maisons de soins palliatifs doivent rendre disponible ce soin. Demander à des gens en fin de vie de se déplacer ailleurs pour recevoir l’aide médicale à mourir ne correspond pas à une pratique que l’on souhaite voir », a déclaré par courriel la ministre responsabl­e des Aînés et ministre déléguée à la Santé, Sonia Bélanger.

Une église fermée et convertie

Sous l’impulsion d’anciens paroissien­s, de donateurs et de bénévoles catholique­s, l’archevêque de Montréal avait accepté que l’ancienne église Saint-Raphaël-Archange, fermée en 2008, soit convertie en un projet pouvant bénéficier à la communauté, soit une maison de soins palliatifs.

Au terme de ce projet de plusieurs millions de dollars, la Maison St-Raphaël a vu le jour, en 2019. Elle compte 12 lits, et les soins de fin de vie y sont donnés sans frais, à des Québécois de toutes confession­s religieuse­s. L’organisme s’est

vu accorder un bail de 100 ans — pour un loyer annuel de 1 $ — comportant une série de conditions, dont une très claire : l’aide médicale à mourir ne peut y être administré­e. Ceux qui la désirent peuvent être transférés dans un autre établissem­ent, sous la supervisio­n du CIUSSS, avait-il été expliqué à la juge.

Tout roulait rondement jusqu’à ce qu’en 2023, le gouverneme­nt caquiste modifie la Loi pour obliger toutes les maisons de soins palliatifs à offrir l’aide médicale à mourir.

Ce qui a plongé l’archevêché dans un « dilemme insoluble », avait plaidé devant la Cour son avocat, Me Jacques Darche.

L’archevêque ne veut pas qu’on cesse d’y administre­r des soins palliatifs, mais il ne peut accepter que « la propriété, une ancienne église, serve à commettre des actes qui lui sont moralement inacceptab­les ». « Les croyances catholique­s veulent que l’euthanasie constitue un acte moralement inadmissib­le, un “meurtre”, auquel il est interdit de collaborer de quelque façon. »

Il s’est donc adressé à la Cour, invoquant notamment sa liberté de religion et de conscience, protégée par les chartes.

Mardi, l’archevêque catholique romain de Montréal a dit prendre acte du jugement et étudier avec ses procureurs « toutes les options pour la suite des choses ». Il avait auparavant évoqué la possibilit­é de résilier — à contrecoeu­r — le bail de la Maison St-Raphaël.

La demande de suspension

Celui qui demande qu’une loi dûment adoptée par l’Assemblée nationale soit suspendue a une haute côte à gravir et doit remplir des critères légaux exigeants. Ainsi, les sursis ne sont accordés qu’« exceptionn­ellement », rappelle la juge dans sa décision.

Ici, la magistrate convient que la demande n’est pas frivole et qu’il y a une question sérieuse sur laquelle trancher.

Elle précise que la modificati­on législativ­e « nuit d’une manière plus que négligeabl­e » à la capacité de l’archevêque de se conformer à ses croyances : « Le dilemme moral insoluble est réel. » Et si un seul patient reçoit l’aide médicale à mourir entre les murs de la Maison St-Raphaël, la « tache morale » invoquée par l’archevêque constitue un préjudice irréparabl­e « auquel le jugement au fond ne pourra remédier », poursuit-elle.

Une fois ces constats posés, la juge indique qu’elle doit maintenant évaluer « qui » subira le plus grand préjudice si l’article de loi est suspendu ou pas.

Selon elle, le « dilemme moral » de l’archevêque est de moindre importance par rapport à l’intérêt public de respecter le droit de choisir son soin et son traitement médical, y compris le droit de recourir à l’aide médicale à mourir, devenue « une réalité incontourn­able de la société québécoise ».

Car ce dilemme est celui d’un groupe « restreint » — composé de l’archevêque et des donateurs, bénévoles et anciens paroissien­s —, souligne-t-elle, et non pas d’un groupe « significat­if » comme la communauté anglophone du Québec ou encore la communauté catholique du Québec, note-t-elle. Pour cette raison, la balance des inconvénie­nts ne penche pas vers la suspension de l’article de la Loi pour toutes les maisons de soins palliatifs.

Malgré l’intérêt significat­if des demandeurs à protéger leurs croyances religieuse­s, cet intérêt a moins de poids devant le droit pour les Québécois d’accéder au soin de leur choix, y inclus à l’aide médicale à mourir, à la Maison St-Raphaël CATHERINE PICHÉ, DANS SON JUGEMENT »

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