La Maison St-Raphaël devra offrir l’aide médicale à mourir
La Loi concernant les soins de fin de vie demeurera intacte jusqu’au procès qui examinera sa validité constitutionnelle
La Maison de soins palliatifs StRaphaël, installée dans une ancienne église catholique propriété de l’archevêché de Montréal, devra pour l’instant offrir l’aide médicale à mourir, même si cela contrevient aux principes de la foi chrétienne. L’institution religieuse avait demandé que le récent article de loi qui oblige désormais toutes les maisons de soins à l’administrer soit suspendu dans l’attente du procès qui déterminera s’il est constitutionnel ou pas.
Dans son jugement daté du 1er mars, la juge Catherine Piché, de la Cour supérieure, a rejeté la demande de sursis formulée par l’archevêque. Elle a aussi refusé une exemption qui aurait été valide pour la seule Maison St-Raphaël, située dans l’arrondissement montréalais de Côte-des-Neiges.
« Malgré l’intérêt significatif des demandeurs à protéger leurs croyances religieuses, cet intérêt a moins de poids devant le droit pour les Québécois d’accéder au soin de leur choix, y inclus à l’aide médicale à mourir, à la Maison St-Raphaël », écrit-elle.
Ce litige n’est évidemment pas terminé, mais il peut s’écouler des années avant qu’un jugement se prononce sur la validité de cet article de la Loi concernant les soins de fin de vie.
Mardi, Québec s’est réjoui de la décision rendue. « L’aide médicale à mourir est un soin et tous les Québécois doivent y avoir accès, peu importe le milieu où ils se trouvent. La loi est claire, les maisons de soins palliatifs doivent rendre disponible ce soin. Demander à des gens en fin de vie de se déplacer ailleurs pour recevoir l’aide médicale à mourir ne correspond pas à une pratique que l’on souhaite voir », a déclaré par courriel la ministre responsable des Aînés et ministre déléguée à la Santé, Sonia Bélanger.
Une église fermée et convertie
Sous l’impulsion d’anciens paroissiens, de donateurs et de bénévoles catholiques, l’archevêque de Montréal avait accepté que l’ancienne église Saint-Raphaël-Archange, fermée en 2008, soit convertie en un projet pouvant bénéficier à la communauté, soit une maison de soins palliatifs.
Au terme de ce projet de plusieurs millions de dollars, la Maison St-Raphaël a vu le jour, en 2019. Elle compte 12 lits, et les soins de fin de vie y sont donnés sans frais, à des Québécois de toutes confessions religieuses. L’organisme s’est
vu accorder un bail de 100 ans — pour un loyer annuel de 1 $ — comportant une série de conditions, dont une très claire : l’aide médicale à mourir ne peut y être administrée. Ceux qui la désirent peuvent être transférés dans un autre établissement, sous la supervision du CIUSSS, avait-il été expliqué à la juge.
Tout roulait rondement jusqu’à ce qu’en 2023, le gouvernement caquiste modifie la Loi pour obliger toutes les maisons de soins palliatifs à offrir l’aide médicale à mourir.
Ce qui a plongé l’archevêché dans un « dilemme insoluble », avait plaidé devant la Cour son avocat, Me Jacques Darche.
L’archevêque ne veut pas qu’on cesse d’y administrer des soins palliatifs, mais il ne peut accepter que « la propriété, une ancienne église, serve à commettre des actes qui lui sont moralement inacceptables ». « Les croyances catholiques veulent que l’euthanasie constitue un acte moralement inadmissible, un “meurtre”, auquel il est interdit de collaborer de quelque façon. »
Il s’est donc adressé à la Cour, invoquant notamment sa liberté de religion et de conscience, protégée par les chartes.
Mardi, l’archevêque catholique romain de Montréal a dit prendre acte du jugement et étudier avec ses procureurs « toutes les options pour la suite des choses ». Il avait auparavant évoqué la possibilité de résilier — à contrecoeur — le bail de la Maison St-Raphaël.
La demande de suspension
Celui qui demande qu’une loi dûment adoptée par l’Assemblée nationale soit suspendue a une haute côte à gravir et doit remplir des critères légaux exigeants. Ainsi, les sursis ne sont accordés qu’« exceptionnellement », rappelle la juge dans sa décision.
Ici, la magistrate convient que la demande n’est pas frivole et qu’il y a une question sérieuse sur laquelle trancher.
Elle précise que la modification législative « nuit d’une manière plus que négligeable » à la capacité de l’archevêque de se conformer à ses croyances : « Le dilemme moral insoluble est réel. » Et si un seul patient reçoit l’aide médicale à mourir entre les murs de la Maison St-Raphaël, la « tache morale » invoquée par l’archevêque constitue un préjudice irréparable « auquel le jugement au fond ne pourra remédier », poursuit-elle.
Une fois ces constats posés, la juge indique qu’elle doit maintenant évaluer « qui » subira le plus grand préjudice si l’article de loi est suspendu ou pas.
Selon elle, le « dilemme moral » de l’archevêque est de moindre importance par rapport à l’intérêt public de respecter le droit de choisir son soin et son traitement médical, y compris le droit de recourir à l’aide médicale à mourir, devenue « une réalité incontournable de la société québécoise ».
Car ce dilemme est celui d’un groupe « restreint » — composé de l’archevêque et des donateurs, bénévoles et anciens paroissiens —, souligne-t-elle, et non pas d’un groupe « significatif » comme la communauté anglophone du Québec ou encore la communauté catholique du Québec, note-t-elle. Pour cette raison, la balance des inconvénients ne penche pas vers la suspension de l’article de la Loi pour toutes les maisons de soins palliatifs.
Malgré l’intérêt significatif des demandeurs à protéger leurs croyances religieuses, cet intérêt a moins de poids devant le droit pour les Québécois d’accéder au soin de leur choix, y inclus à l’aide médicale à mourir, à la Maison St-Raphaël CATHERINE PICHÉ, DANS SON JUGEMENT »