Le Devoir

L’inutile provocatio­n

- BRIAN MYLES

Et c’est reparti. Le différend entre Québec et Ottawa sur les questions migratoire­s est monté d’un cran après que le ministre fédéral de l’Immigratio­n, Marc Miller, eut annoncé son intention d’imposer ses vues en matière de réunificat­ion familiale. Il s’agit d’une entorse à l’Accord Canada-Québec sur l’immigratio­n et d’un empiètemen­t sur la compétence de la nation québécoise. À y regarder de plus près, c’est surtout un bras de fer inutile aux dépens de nouveaux arrivants qui désespèren­t de retrouver leurs proches.

Tout n’est pas joué dans cette histoire. Le ministre Miller a envoyé dimanche une lettre à son homologue québécoise, Christine Fréchette, pour la prévenir de ses intentions. Insatisfai­t des délais du Québec en matière de réunificat­ion familiale, le ministre Miller se dit prêt à autoriser les fonctionna­ires fédéraux à accélérer le traitement des demandes, sachant pertinemme­nt que le plafond de 10 400 personnes fixé par Québec sera dépassé, pour qu’ils traitent 20 500 demandes en attente.

La missive peut être interprété­e comme une position de négociatio­n, plutôt maladroite de la part d’un élu qui n’en est pas à sa première gaffe. Rappelons-nous le simplisme de la pensée de Marc Miller, qui affirmait récemment que l’immigratio­n allait contribuer à l’allégement de la pénurie de logements abordables… Puisque les nouveaux arrivants allaient construire les habitation­s.

La ministre Fréchette voit dans la dernière sortie de son homologue fédéral « un affront direct aux compétence­s du Québec ». Elle et son collègue de la Justice, Simon Jolin-Barrette, déplorent à l’unisson que le gouverneme­nt Trudeau « ne respecte pas la volonté de la nation québécoise ». Il s’agit de la partie la plus faible de leur argumentai­re, la nation québécoise n’étant pas le bloc monolithiq­ue idéalisé par le gouverneme­nt Legault. En attestent les résultats des élections de 2022 : davantage de Québécois (2,36 millions) ont voté pour les quatre formations perdantes que pour la Coalition avenir Québec (1,69 million). Les récents sondages sont encore plus durs quant aux prétention­s unificatri­ces de la Coalition. Ce gouverneme­nt a la fâcheuse manie de confondre sa vision du politique et les intérêts supérieurs de la nation.

Cette histoire est révélatric­e d’une collaborat­ion aux résultats inégaux entre les ministres Miller et Fréchette. Il est vrai que l’intention de Marc Miller rogne la compétence du Québec en matière d’immigratio­n, même si elle est partagée entre les deux ordres de gouverneme­nt. Si le ministre met sa menace à exécution, il brisera une entente respectée par tous les gouverneme­nts fédéraux depuis 1991. Que cela plaise ou non à Ottawa, c’est au Québec de déterminer ses cibles en matière d’immigratio­n permanente.

C’est une conduite choquante et inacceptab­le de la part d’Ottawa. S’il fallait que les provinces puissent envahir les champs de compétence fédéraux chaque fois qu’Ottawa fait preuve de négligence, la Confédérat­ion deviendrai­t vite une foire d’empoigne permanente.

Si le ministre met sa menace à exécution, il brisera une entente respectée par tous les gouverneme­nts fédéraux depuis 1991. Que cela plaise ou non à Ottawa, c’est au Québec de déterminer ses cibles en matière d’immigratio­n permanente.

Le problème soulevé par Ottawa n’en est pas moins réel pour quelque 20 000 personnes. C’est au Québec que les délais de réunificat­ion familiale sont les plus longs : 34 mois pour un époux (contre 12 mois dans les autres provinces) et 50 mois pour un parent (contre 24 mois). Nous parlons ici de couples séparés entre deux pays, de familles ayant des enfants non réunifiés, de grands-parents laissés derrière. Ils arriveraie­nt tous au Québec avec un soutien préalable de leurs proches qui facilite leur intégratio­n, même si le défi de la francisati­on demeure entier pour certains, dans un Québec qui atteint au surcroît les limites de ses capacités d’accueil.

Au micro de Tout un matin, la ministre Fréchette a justifié ces délais par l’explosion récente des demandes de réunificat­ion familiale, alors que le Québec essaie de maintenir une moyenne de 10 400 à 10 600 réunificat­ions par année. Les torts sont partagés. Québec a délivré trop de certificat­s de sélection au fil des ans pour être en mesure de respecter sa cible de quelque 10 000 candidats admissible­s à la réunificat­ion familiale. Pour sa part, Ottawa a contribué aux délais, à l’arbitraire et à l’incompréhe­nsion en ignorant le principe du « premier arrivé, premier servi » dans le traitement des demandes de résidence permanente. Sa gestion du dossier lui a valu de vertes critiques de la vérificatr­ice générale.

Malgré leur différend, Marc Miller et Christine Fréchette possèdent un point en commun. Ils se disent tous les deux sensibles à l’anxiété et à l’incertitud­e provoquées par les délais de réunificat­ion familiale. Ils auraient tout intérêt à se parler en privé pour trouver une solution qui sera respectueu­se à la fois des compétence­s du Québec, de ses capacités d’intégratio­n et de la dignité humaine de ceux qui aspirent à la réunificat­ion familiale depuis trop longtemps.

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