Performances au lit
Avec l’exposition De la vie au lit, des artistes nous font redécouvrir le lit comme espace de créativité, particulièrement pour les personnes souffrant d’un handicap
Cela se passe au lit. Du matin au matin, dans un immobilisme imposé, un face-à-face intime et obligé avec la douleur, jour après jour.
Pour bien des personnes handicapées, souffrant d’une maladie chronique ou visitées par la dépression ou les incapacités physiques, le lit, habité 24 heures sur 24, devient le centre d’un monde, mais aussi le lieu de la résistance et du repos.
Des personnes y créent, y discutent, y font des plans, y guérissent, s’y apaisent, y dorment. De la vie au lit, c’est le titre qu’a donné la commissaire Sarah Heussaff à l’exposition qui, à la Galerie de l’UQAM, met en lumière le travail de plusieurs personnes souffrant d’un handicap.
Le lit est trop souvent associé à la paresse et à l’oisiveté, rappelle l’oeuvre La paresse, de Félix Vallotton, reproduite dans l’exposition, agrandie, sur une plaque d’acrylique noir dont on peut toucher le relief. On y découvre une femme, nue et allongée sur un lit, caressant un chat. Un texte en braille l’accompagne. On utilise souvent l’expression « être cloué au lit ». Mais c’est alitée que Frida Kahlo, après un accident grave, a commencé à peindre ses autoportraits. Que Marcel Proust a pondu les 3000 pages d’À la recherche du temps perdu. Plus près de nous, Marcelle Ferron était maintenue à l’hôpital par une tuberculose osseuse lorsqu’elle a imaginé les grandes verrières qui ornent aujourd’hui des stations de métro de Montréal.
Souvent associé symboliquement à la sexualité, le lit est aussi un lieu de douleur.
Handicaps sporadiques
« J’aimerais tout d’abord dire que cela a été étonnamment épuisant, de rester allongée dans mon lit pendant trois jours. Mon corps et mon cerveau sont complètement à plat », dit l’artiste britannique Liz Crow dans une vidéo qui accompagne l’exposition. Toujours dans cette vidéo, elle expose que sa vie est divisée en deux : celle où elle mène une vie publique malgré ses difficultés et celle où elle passe son temps à récupérer.
Dans son propos, la commissaire Sarah Heussaff insiste d’ailleurs sur la notion de diversité dans les handicaps, qui sont parfois sporadiques.
« Les théories critiques du handicap ont un peu révolutionné la manière d’envisager la question. » Avant, on mettait les personnes handicapées d’un côté et les personnes non handicapées de l’autre, explique-t-elle. Pourtant, il y a des personnes qui sont handicapées par périodes, puis qui ne le sont plus. Et parfois, même, elles le redeviennent de façon chronique. « Les personnes qui ont des maladies chroniques vont pouvoir bien aller une journée, sans avoir trop de douleurs, et puis le lendemain avoir des douleurs. Les personnes qui font des dépressions aussi vont avoir un regain et vont pouvoir aller mieux, pour peut-être, éventuellement, retomber dans une dépression », explique Mme Heussaff.
Danser au lit
Ce que les femmes artistes de l’exposition — parce que ce sont toutes des femmes — présentent, ce sont les différentes façons de vivre au lit. Sarah Heussaff a découvert le travail d’Octavia Rose Hingle, artiste agenre, à travers un atelier de danse au lit.
« J’ai suivi un atelier de danse au lit avec Octavia et ça a été un moment de bonheur incroyable, raconte la commissaire. Je pouvais être en communion avec des gens du RoyaumeUni et de San Francisco. »
Cette performance nous est offerte en vidéo, et un dispositif permet aux personnes qui n’entendent pas les paroles et la musique d’en percevoir les vibrations. Un atelier de danse au lit est également prévu avec Octavia Rose Hingle le 16 mars.
Avec la dématérialisation de l’information, le lit peut désormais être un espace ouvert sur le monde. On y fait de la recherche, on y tient des réunions, on y discute avec des amis…
Traditionnellement, la sphère privée, dont le lit, est considérée comme extérieure à la vie politique, ce qui en exclut d’emblée les personnes alitées et les personnes ne pouvant pas quitter la maison.
« Or, envisager les espaces privés et personnels — physiques comme symboliques — de manière apolitique a pour conséquence de ne jamais pouvoir considérer les personnes handicapées et malades ou les personnes à la maison comme des individus ayant des existences sociales et politiques », écrit Sarah Heussaff dans un texte intitulé Matières à réflexion.
La commissaire s’est beaucoup inspirée des mouvements politiques pour les droits civiques des personnes handicapées qui ont émergé au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni dans les années 1960-1970.