Le Devoir

Les artistes de Juste pour rire pourraient ne jamais revoir la « couleur de leur argent »

Les problèmes du festival soulèvent certaines questions sur la manière dont sont gérés les fonds publics, selon l’Union des artistes

- ÉTIENNE PARÉ LE DEVOIR

Les déboires de Juste pour rire pourraient entraîner l’annulation de spectacles et d’au moins une série télé, en plus du festival, qui n’aura officielle­ment pas lieu cette année. Les artistes qui étaient déjà sous contrat avec Juste pour rire risquent de ne jamais être rémunérés. C’est du moins de ce que craint la présidente de l’Union des artistes (UDA), Tania Kontoyanni, qui s’explique mal qu’une compagnie grassement subvention­née puisse être aujourd’hui au bord de la faillite.

« Quand une compagnie de production se met à l’abri des créanciers, l’Union des artistes s’inscrit toujours sur la liste des créanciers. C’est ce que nous allons faire dans les prochains jours. Mais on ne se fait pas d’illusions. Les artistes ne revoient jamais la couleur de leur argent. Sur la liste des créanciers, on passe toujours en dernier, bien après les banques, qui ont pourtant tellement plus besoin d’argent que les artistes », a lancé d’un ton sarcastiqu­e Mme Kontoyanni dans une entrevue accordée jeudi au Devoir.

En invoquant la Loi sur la faillite et l’insolvabil­ité, mardi, le Groupe Juste pour rire a annoncé l’annulation de la prochaine édition de son festival, tant son volet francophon­e qu’anglophone, Just for Laughs. « Pour plusieurs artistes, perdre un contrat comme celui-là, c’est un gros trou dans le budget annuel », a déploré la présidente de l’UDA.

Le sort de la comédie musicale Waitress, dont la distributi­on avait déjà été annoncée, est par ailleurs toujours incertain. Idem pour la série télé Les crues, avec Ève Côté et Marilyne Joncas, dont les tournages devaient bientôt débuter. Juste pour rire cesse aussi de produire plusieurs spectacles en cours, dont ceux de Louis T ou de Jean-Sébastien Girard. Tous les artistes qui faisaient partie de l’écurie Juste pour rire ont d’ores et déjà indiqué leur intention de trouver une solution pour poursuivre leur tournée.

« On entend dire que d’autres producteur­s voudraient reprendre des spectacles et que des artistes pourraient assumer leur propre production. Tant mieux si ça fonctionne, mais on sait que c’est parfois plus compliqué que ça. On reste aux aguets si des spectacles sont annulés », souligne Tania Kontoyanni.

Situation « étrange »

Mme Kontoyanni est impliquée au sein de l’UDA depuis 2017. En sept ans, elle n’a pas souvenir d’une aussi grosse compagnie de production qui se soit placée à l’abri de ses créanciers. « Les compagnies de production qui font faillite, ce sont souvent de petites boîtes qui ont été créées spécialeme­nt pour un projet plutôt niché et qui ne sont pas en mesure ensuite de payer les artistes. C’est extrêmemen­t rare que ce soit des compagnies de la grosseur de Juste pour rire. C’est même assez étrange ce qui se passe en ce moment », laisse-t-elle tomber.

La présidente de l’Union des artistes rappelle que « les producteur­s au Québec prennent moyennemen­t de risques financiers », grâce aux différents programmes de subvention. Comment une entreprise de la taille de Juste pour rire a-t-elle pu se retrouver dans un pareil pétrin ? Selon elle, les difficulté­s financière­s de la compagnie ont le mérite de soulever certaines questions plus larges quant à la manière dont sont distribuée­s les aides dans le secteur de la culture.

« C’est l’argent du citoyen, quand même. Il faut s’intéresser de plus près à la manière dont il est géré. Peut-être que je suis naïve, mais je ne pense pas qu’il y a des choses illégales qui se déroulent. Par contre, je vois des choses qui sont plus ou moins éthiques. Un producteur qui se met l’argent dans les poches, il y a très peu de recours actuelleme­nt contre ça », affirme Mme Kontoyanni, qui avait interpellé le gouverneme­nt Legault à ce sujet dans une lettre ouverte il y a deux semaines.

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