Le Devoir

« À vaincre sans péril… »

- CHRISTIAN RIOUX

La tour Eiffel a scintillé de tous ses feux. Ce n’était pourtant ni le 14 juillet ni l’ouverture des Jeux olympiques. La Dame de fer brillant dans la nuit, c’est le signe de la fête. Celle du passage à l’an 2000 ou du début du Nouvel An chinois. C’est le concert de Johnny Halliday en juin 2000 devant 400 000 personnes. Et ce jour fatidique des attentats du Bataclan n’avait-elle pas revêtu ses habits de deuil ? Lundi, elle resplendis­sait de lumière pour célébrer l’inscriptio­n dans la Constituti­on française du droit à l’avortement. Mais était-ce bien indiqué ?

On peut se féliciter de cette inscriptio­n, dont la portée est par ailleurs toute relative, tout en se demandant si les bravos et les hourras étaient vraiment de mise. Le 26 novembre 1974, c’est loin des guirlandes et des paillettes que Simone Veil défendit dans un discours historique la légalisati­on de l’avortement. Elle insista sur « la gravité des responsabi­lités » face à ce qu’elle considérai­t comme l’« un des problèmes les plus difficiles de notre temps ». Et la rescapée d’Auschwitz d’évoquer son « profond sentiment d’humilité devant la difficulté du problème, comme devant l’ampleur des résonances qu’il suscite au plus intime de chacune des Françaises ».

Rien à voir avec le slogan clinquant qui, 50 ans plus tard, clignotait au premier étage de la tour : « My body my choice »… évidemment en anglais ! Un peu de sobriété n’aurait pas fait de tort à ce moment qui se voulait solennel. Était-il nécessaire, comme l’ont fait certains députés, de peindre ainsi la France en « phare des droits humains » au son des cocoricos ? « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », disait le père de Chimène dans Le Cid, de Corneille. D’autant que, contrairem­ent aux États-Unis, ce droit n’est contesté par pratiqueme­nt personne en France, comme en témoigne le vote écrasant du Congrès où les rares réfractair­es le furent essentiell­ement pour des raisons de droit constituti­onnel.

Rares sont ceux qui se sont demandé à cette occasion si les femmes en France n’avaient pas des problèmes plus urgents. Comme en témoigne le meurtre jugé l’été dernier de Shaïna Hansye, une musulmane de 15 ans poignardée et brûlée vive dans la cité du plateau Rouher, à Creil, en 2019. Sa seule faute : elle était enceinte et voulait garder l’enfant. Pas question pour le meurtrier de 17 ans que sa mère l’apprenne, car il était musulman, a-t-il confié à un codétenu. Deux ans plus tôt, Shaïna avait été victime d’un viol collectif. Elle n’avait alors que 13 ans. Cela « dit beaucoup de choses sur la place des femmes et de la sexualité dans les cités », a déclaré son avocate.

Plus près de nous, en 2021, c’est Chahinez B. qui a été brûlée vive par son conjoint rencontré en Algérie cinq ans plus tôt « parce qu’elle voulait vivre comme une Française ». Cette mère de famille rêvait de « sortir dans des cafés et mettre des jeans », écrira le Figaro. Mais son mari ne voulait pas. On pourrait aussi citer Sohane Benziane, retrouvée dans un local de poubelles à Vitry-sur-Seine. En 2002, cet assassinat sordide avait donné lieu à la création de l’associatio­n Ni putes ni soumises en lutte contre le sort réservé aux femmes dans ces ghettos en voie d’islamisati­on. Depuis, l’associatio­n est tombée dans l’oubli, car cette cause n’intéresse plus guère les féministes d’aujourd’hui.

Pourtant, tout cela est largement documenté. Grâce, notamment, aux témoignage­s récents recueillis par Olivia Jamont dans Voix des sans-voix ou au livre de Samira Bellil, qui raconte son propre parcours Dans l’enfer des tournantes. Dans ces quartiers, on ne compte plus les mariages arrangés lors de voyages au bled, les interdicti­ons de sortir, de travailler et de fréquenter ceux qu’on surnomme les « Gaulois ». Selon une vaste enquête de l’Ined et de l’Insee, le port du voile par les femmes musulmanes a progressé en dix ans de 55 % en France. Or, le voile n’est que l’arbre qui cache la forêt. Dans un document publié en octobre 2021, l’ancienne secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, évaluait à 200 000 le nombre de femmes vivant en France victimes de mariages forcés, à 125 000 celui des victimes de mutilation­s sexuelles et entre 16 000 et 20 000 le nombre de familles polygames.

Ces sujets n’intéressen­t plus qu’une infime partie des féministes et des médias, aujourd’hui plus préoccupés par l’écriture dite « inclusive » et ses incongruit­és grammatica­les que par le sort de ces millions de femmes laissées à elles-mêmes. Combien se sont émus des sévices infligés aux femmes violées et mutilées par les tortionnai­res du Hamas pour la seule raison qu’elles étaient des femmes juives le 7 octobre en Israël ? Dans un tout nouveau rapport, deux anciennes présidente­s du Conseil des femmes francophon­es de Belgique, Viviane Teitelbaum et Sylvie Lausberg, révèlent, chiffres à l’appui, le « vide abyssal » et la lenteur de réaction des médias belges à ce propos, et même du site féministe Les grenades de la RTBF.

Tout cela au nom de l’« intersecti­onnalité » et de la « convergenc­e des luttes » qui incitent à détourner le regard de peur d’être traité d’islamophob­e. Ce n’est pas moi qui le dis, mais la revue Franc-Tireur, dont le dernier numéro décrit un « féminisme à indignatio­n variable ». On se souviendra du silence assourdiss­ant des féministes et de la mairesse Henriette Reker après la vague d’agressions impliquant des demandeurs d’asile la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne en 2016. « Elles sont dans l’injonction de faire silence, sous peine, disent-elles, d’alimenter le racisme », avait alors réagi la philosophe Élisabeth Badinter. Une complaisan­ce qui rappelle cette époque où il fallait taire les crimes du communisme afin de ne pas faire le jeu du fascisme.

Pas de quoi faire scintiller la tour Eiffel.

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