Le Devoir

Économiser des milliers de dollars

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Garder sa plaque ontarienne tout en demeurant au Québec pour éviter la facture qui y est associée est un stratagème bien connu dans la région, d’autant que l’amende imposée est de 300 $ au maximum. Puis, attraper les coupables nécessite « plusieurs démarches d’enquête », souligne le Service de police de la Ville de Gatineau, qui n’a pu mettre la main au collet qu’à 12 de ces délinquant­s l’an dernier.

Du côté de la MRC de Pontiac, la préfète, Jane Toller, opine. « On les veut, les Ontariens. On partage une histoire avec eux. Mais, leur lance-telle en anglais, si vous restez plus que six mois, engagez-vous dans le Pontiac, dans le Québec. » « On offre des services, mais on ne reçoit pas les fonds provinciau­x pour eux. Si on pouvait récupérer l’argent, ça aiderait beaucoup. »

L’afflux d’Ontariens (et de Canadiens en général) en Outaouais ne cesse de gagner en importance depuis la fin de la pandémie. La migration de non-Québécois vers la région s’élevait à 4000 personnes en 2017. Elle dépassait 7000 personnes en 2023, selon les compilatio­ns de l’Observatoi­re du développem­ent de l’Outaouais.

Combien parmi eux évitent-ils les factures québécoise­s grâce à la proximité de l’Ontario ? Impossible de vraiment le savoir. Déménager au Québec s’accompagne de devoirs, fait remarquer Mme Toller, cette élue ellemême venue de l’Ontario il y a quelques années. « Je ne veux pas “torontoïse­r” Pontiac. J’ai quitté Toronto pour des raisons. »

Des millions de dollars

Plus encore que les plaques d’immatricul­ation, certains Ontariens parviennen­t à conserver une résidence principale dans leur province d’origine. Ils évitent ainsi de payer tous les impôts québécois.

Le Devoir a réussi à parler avec l’un d’eux qui, malgré sa résidence au Québec, enregistre son entreprise en Ontario. « Je génère mon revenu dans un bureau à Ottawa. Mon comptable m’a indiqué que c’était plus avantageux de payer ses impôts en Ontario », raconte-t-il de façon anonyme afin de ne pas être inquiété par le fisc. Les économies peuvent se chiffrer à plusieurs milliers de dollars au fil des années.

Un appartemen­t, l’adresse d’un cousin ou une boîte postale peuvent aussi servir de « résidence principale » pour contourner l’impôt québécois tout en profitant d’une vie moins chère. Début 2024, le loyer moyen pour un logement de deux chambres se chiffrait à 1253 $ à Gatineau, contre 1698 $ à Ottawa.

Plusieurs (400 en 2023) se font toutefois attraper. Revenu Québec a récupéré près de 6 millions de dollars uniquement l’an dernier, une somme en hausse depuis quelques années. Une page sur le site Internet du fisc québécois permet d’ailleurs au public de dénoncer quiconque est soupçonné d’évitement fiscal.

Passer sous le radar n’est pas facile, stipule Jennifer Wallner, spécialist­e en fiscalité et en fédéralism­e à l’Université d’Ottawa. Les autorités sont bien au fait des stratagème­s. « On ne peut pas juste arriver ici et en profiter », explique-t-elle. Plusieurs pointent d’ailleurs sur le radar du gouverneme­nt québécois lorsqu’ils bénéficien­t du système de santé sans que leur adresse de résidence concorde dans les dossiers des différents ministères.

Anglo-Québécois, Franco-Ontariens

Les dizaines de milliers d’Ontariens qui vivent de ce côté-ci de la frontière ne pèsent pas que sur les finances du Québec : son paysage linguistiq­ue en sort aussi bouleversé. La proportion d’anglophone­s unilingues augmente d’année en année en Outaouais. Et près de 65 % de la population de Gatineau parle les deux langues officielle­s, le taux le plus élevé du Québec.

Chad Bean compte parmi ces néoGatinoi­s installés sur le flanc québécois de la rivière des Outaouais depuis moins d’un an. Les statistiqu­es linguistiq­ues ne doivent pas éclipser la bonne entente qui règne dans la région, selon lui. « Pour certaines personnes, si tu n’es pas unilingue français, tu n’es pas Québécois. Ce n’est pas vrai. »

Deux langues valent mieux qu’une, affirme celui qui naviguait depuis 30 ans entre les deux provinces. Le gouverneme­nt canadien embauche après tout la moitié des travailà égalité région et promeut l’apprentiss­age d’une deuxième langue. « Pour nous, ce n’est pas “on a besoin”, c’est “on veut” », témoigne-t-il en français au Devoir.

Plus on se rapproche du Québec, plus le français devient une langue courante, selon lui. Déménager et s’adapter au Québec n’est « pas un gros saut majeur » pour bien des Ontariens déjà habitués à voir du français autour d’eux, dit-il. « Ce n’est pas comme quelqu’un qui vient de la Colombie-Britanniqu­e ou de l’Alabama. »

Chelsea, nouveau Westmount ?

Parmi les autres attraits du Québec pour les Ontariens : le parc de la Gatineau. Et il ne date pas d’hier : le premier ministre MacKenzie King posait déjà en 1920 son domaine dans les environs de Chelsea.

Aujourd’hui, cette municipali­té bilingue connaît l’un des booms démographi­ques les plus intenses du Québec. Plus de 1400 personnes s’y sont installées depuis 2016, pour un total actuel de 8300 âmes. L’allure de certaines demeures pourrait évoquer un certain Westmount.

Le conseil municipal et les résolution­s se tiennent en français, assure le maire, Pierre Guénard. La langue des interventi­ons publiques dépend toutefois de la préférence du citoyen. « Ça rend ça accessible et diversifié. Ça permet aux gens de s’impliquer. Ultimement, on veut une participat­ion citoyenne forte. »

La municipali­té, dont la population est partagée moitié-moitié entre francophon­es et anglophone­s, tient à conserver « le cachet et le tissu social » qui fait son charme, de dire le maire. « De façon harmonieus­e et respectueu­se. »

Le français se profile vraisembla­blement comme la langue d’avenir de Chelsea. Une deuxième école primaire doit y être construite ces prochaines années, et la langue d’apprentiss­age sera bel et bien celle de Tremblay.

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