Le Devoir

Un taux directeur modulé, pourquoi pas ?

Les hausses successive­s ont créé une pression financière énorme sur les propriétai­res d’une résidence familiale

- Serge Rémillard

L’auteur a été sous-ministre adjoint de la recherche, de la normalisat­ion et de l’administra­tion au ministère du Travail à Québec (1987-1988) et premier viceprésid­ent — Administra­tion et finances à la Caisse de dépôt et placement du Québec (1989-2000)

La Banque du Canada a augmenté le taux directeur de 4,75 % en moins de deux ans, le faisant passer de 0,25 % à 5 %. Ces hausses successive­s ont créé un effet multiplica­teur majeur, tout particuliè­rement sur les paiements hypothécai­res et une pression financière énorme sur les propriétai­res d’une résidence familiale.

Rien, à ma connaissan­ce, n’empêcherai­t la Banque du Canada d’établir un taux directeur modulé, c’est-à-dire un taux distinct pour l’économie et/ou pour ralentir l’inflation, tel qu’il est aujourd’hui à 5 % et dans cet esprit pourquoi ne pourrait-on pas établir un sous-taux directeur à 2 % spécifique­ment réservé au secteur de l’épargne et des prêts hypothécai­res. Cette nouvelle modulation des taux aurait pour effet de ramener le taux de base pour ce secteur à 4,2 %.

Rappelons que la banque centrale a été créée en 1934 pour, notamment, stimuler l’économie après la grande dépression de 1929, réguler la monnaie canadienne et prêter aux banques selon le taux directeur qu’elle fixe.

Incidemmen­t, l’institutio­n exerce spécialeme­nt son pouvoir pour s’attaquer à l’inflation, lorsque celle-ci s’emballe.

Pression hypothécai­re

Le taux directeur, lorsqu’il est augmenté, crée un stress énorme spécialeme­nt sur les emprunts hypothécai­res. Tout d’abord, sur le taux de base des banques à charte canadienne (ces dernières ajoutent 2,2 % au taux directeur pour y trouver leurs bénéfices). En voici un usage : le 14 avril 2022, le taux de base était à 3,20 % alors qu’il est aujourd’hui de 7,20 %, soit un écart de 4 points, entraînant une conséquenc­e catastroph­ique sur les mensualité­s hypothécai­res.

Autre exemple, l’achat d’une maison ou d’un appartemen­t dans une copropriét­é dans la grande région de Montréal durant la période COVID demandait généraleme­nt de surenchéri­r de 10 %, 20 %, voire plus, par rapport au prix demandé. Il n’était pas rare pour un acheteur de devoir prendre une hypothèque à la limite de ses capacités financière­s.

L’achat en avril 2022 d’une propriété au montant de 350 000 $ aurait demandé à son acheteur un prêt hypothécai­re de plus ou moins 300 000 $ à un taux d’intérêt variable de 3,20 % sur 5 ans, amorti sur 25 ans.

Le montant de ses mensualité­s aurait été de 1450,70 $. Aujourd’hui, avec un taux d’intérêt de 7,20 %, ses mensualité­s seraient plutôt de 2138,42 $ soit en hausse de 687,72 $ ou de 47,41 % ! Imaginons la pression sur ceux dont l’échéance du renouvelle­ment hypothécai­re est imminente !

En définitive, s’il existait un soustaux directeur pour ce secteur névralgiqu­e de l’économie, aujourd’hui le taux hypothécai­re serait ramené à 4,2 % et, dans l’exemple ci-haut mentionné, les mensualité­s seraient de 1610,75 $, soit une augmentati­on de 160,05 $ ou 11,03 %, représenta­nt tout de même une hausse importante, mais assurément plus acceptable.

Il y a indubitabl­ement un grand paradoxe entre le fait d’augmenter le taux directeur visant à diminuer l’inflation et la pression qu’induit ce même taux sur le coût du logement. Selon Statistiqu­e Canada : « L’augmentati­on des coûts d’emprunt a contribué à l’accélérati­on de la croissance annuelle moyenne des prix des loyers et du coût de l’intérêt hypothécai­re. L’indice du coût de l’intérêt hypothécai­re a progressé de 28,5 % en 2023 ».

Comme se loger représente plus ou moins 35 % du budget d’une personne ou d’un couple, on peut aisément penser que la pression sur l’inflation ne va pas diminuer, bien au contraire.

Dans cette optique, il pourrait être judicieux et à la fois audacieux pour la Banque du Canada d’envisager cette stratégie d’un taux directeur modulé. D’aucuns diront que cela ne s’est jamais fait, une raison de plus pour oser !

Newspapers in French

Newspapers from Canada