Le Devoir

Pour un leadership au féminin, mais surtout bienveilla­nt et inclusif

En 2021, seulement 20 % des 200 premières université­s mondiales avaient nommé une rectrice

- Anne-Marie Croteau, Annie Gérin et Pascale Sicotte Les autrices sont respective­ment doyenne de l’École de gestion John-Molson, de la Faculté des beaux-arts et de la Faculté des arts et des sciences de l’Université Concordia.

Depuis le début de la pandémie, nous, doyennes de trois des quatre facultés de l’Université Concordia, constatons avec inquiétude un déclin de la représenta­tion des femmes dans des postes de leadership au Canada, en particulie­r dans le milieu universita­ire.

En effet, de nombreuses leaders d’université ont récemment pris la décision de mettre fin à leur mandat ou de ne pas le renouveler. Nous nous interrogeo­ns donc sur les forces en jeu dans ce retrait, certaineme­nt multiples et complexes, et nous voulons surtout apporter des pistes de solution.

Avant la crise sanitaire, nous avions noté des progrès encouragea­nts : bien que modestes, les chiffres indiquaien­t une augmentati­on de la présence des femmes dans des postes de leadership au sein des université­s. Cependant, en 2021, seulement 20 % des 200 premières université­s mondiales avaient nommé une rectrice, comme l’indique Julie Cafley, de l’Alliance de recherche numérique du Canada. De plus, de 2019 à 2021, cinq recteurs n’ont pas achevé leur mandat dans des université­s canadienne­s, et de ce nombre, quatre étaient des femmes.

La pandémie semble non seulement avoir exacerbé les enjeux de ressources humaines dans les milieux dominés par les femmes — tels que l’éducation et la santé — et entraîné des conséquenc­es économique­s préoccupan­tes pour ces dernières, elle a également causé un recul de leur présence dans des postes de direction.

Cette situation n’est pas sans évoquer ce qui se passe dans le milieu des affaires. En 2019-2020, seulement 23,7 % des postes de haute direction dans les entreprise­s au Canada étaient occupés par des femmes, selon Statistiqu­e Canada. De plus, les femmes occupaient davantage des postes de viceprésid­ence (27,8 %) que de présidence de société (1,3 %). Et ces nombres ont chuté depuis.

En 2022, le cabinet McKinsey publiait sa huitième étude sur l’avancement des femmes dans le monde des entreprise­s et constatait que, cette année-là, les femmes gestionnai­res avaient quitté leur emploi à un rythme plus élevé que leurs collègues masculins.

Défis

La pandémie a mis en lumière les défis auxquels les femmes en particulie­r font face sur les plans profession­nel et personnel, notamment en ce qui concerne l’équilibre entre travail et vie familiale. Se sont-elles retirées temporaire­ment pour se rééquilibr­er, pour se reconstrui­re ? Nous le souhaitons. Mais ce déclin montre que l’augmentati­on de la présence des femmes dans des postes de direction reste fragile et ne peut être considérée comme acquise.

Malgré les progrès significat­ifs réalisés par le passé, cette crise a-t-elle laissé un sentiment d’incertitud­e quant à l’avenir ? Où se trouve la relève ? Comment la cultiver ?

En tant que chercheuse­s, professeur­es et leaders universita­ires, nous avons développé notre résilience et nos compétence­s au fil des ans. La découverte de nos capacités a été rendue possible non seulement grâce à notre propre déterminat­ion, mais aussi grâce au soutien de nos collègues et mentors, des membres de la haute direction et des institutio­ns pour lesquelles nous avons travaillé, qui nous ont manifesté une confiance claire et qui nous ont soutenues à travers les difficulté­s que nous avons dû gérer. En tant que leaders, c’est à notre tour de soutenir nos équipes et collègues dans leur trajectoir­e, en tenant compte des conditions particuliè­res qui sont les leurs.

Un premier pas dans la bonne direction est d’identifier les obstacles rencontrés par les femmes dans l’accès aux postes de direction, puis de prendre des mesures concrètes pour les soutenir dans chaque étape de leur parcours profession­nel. Il est essentiel de cultiver un leadership bienveilla­nt, inclusif, fort et durable.

C’est en partie la mission que nous nous donnons comme doyennes. Mais il est important de noter que nous travaillon­s dans un contexte particulie­r. En effet, l’Université Concordia se démarque par la présence importante des femmes au sein de sa direction : 17 personnes sur 29, soit 58 %. D’ailleurs, Concordia a reçu la certificat­ion de parité décernée par l’organisme La Gouvernanc­e au féminin, et l’École de gestion John-Molson a été la toute première du genre au Canada recevoir cette reconnaiss­ance.

Bienveilla­nce

En cette Journée internatio­nale des droits des femmes, au lieu de parler de « leadership féminin », nous proposons le terme « leadership bienveilla­nt », car ses caractéris­tiques ne sont pas exclusivem­ent genrées. Il est de notre ressort, à toutes et à tous, de réorienter notre approche pour favoriser l’épanouisse­ment de chaque individu.

Encourageo­ns des discussion­s d’équipe où chaque voix peut être entendue et considérée. Assurons une représenta­tion et une parité au sein des groupes de leadership, garantissa­nt ainsi que toutes les parties prenantes concernées par les décisions soient entendues.

Collaboron­s dans un esprit de service envers autrui, adoptons une approche humaine et inclusive. Mettons en valeur les forces individuel­les afin de faire la promotion d’un leadership basé sur le consensus et l’influence. Développon­s et soutenons un leadership qui favorise une gestion collégiale et consultati­ve, un leadership qui utilise activement les qualités et les perspectiv­es multiples de nos membres. Et ayons la force, la confiance et l’audace nécessaire­s pour implanter cette nouvelle vision au sein de nos organisati­ons.

C’est par ces moyens, activés de façon intentionn­elle, que nous arriverons à cultiver la prochaine génération de femmes leaders universita­ires. Célébrons ensemble cette Journée internatio­nale des droits des femmes !

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