À court de mots
Au moment où ces lignes étaient écrites, cela faisait 17 jours que des étudiantes et des étudiants de l’Université McGill avaient entamé une grève de la faim pour exiger que l’Université retire ses fonds d’entreprises contribuant aux violations des droits de la personne des Palestiniens et mette un terme à certains partenariats avec Israël, dans le contexte de l’assaut en cours à Gaza.
Certains font la grève en continu depuis le 19 février, alors que d’autres font des relais de trois ou cinq jours, sous la supervision d’étudiants en soins infirmiers et en médecine. Les grévistes tiennent la ligne dure : de l’eau, des électrolytes et du bouillon, rien d’autre, depuis près de trois semaines pour les plus déterminés.
Dans une lettre ouverte adressée à l’administration de McGill, appuyée à ce jour par près de 800 diplômés, professeurs et employés solidaires des grévistes, on peut lire que les appels à l’interruption des partenariats avec les universités israéliennes « visent celles ayant un historique documenté de complicité de violation des droits de la personne des Palestiniens ». Celles-ci, écrit-on, « participent au développement d’armes, de systèmes et de stratégies militaires déployés dans des crimes de guerre perpétrés par Israël, en contravention avec le droit international ».
La faim, me disent-ils, s’insinue entièrement dans leur quotidien. Douleurs jusque dans les os, pensées envahissantes en lien avec la nourriture, incapacité de se concentrer, fatigue, faiblesse. Leur intégrité physique et mentale est compromise. Sauf que dans les circonstances, le business as usual n’est plus possible.
Certaines universités ailleurs dans le monde ont déjà révoqué leurs partenariats avec des établissements universitaires israéliens, pour les mêmes raisons. Les grévistes rappellent aussi que l’Université McGill elle-même avait adopté une stratégie de désinvestissement dans le contexte de l’apartheid sud-africain, en 1985, et était ainsi devenue la première université canadienne à retirer ses fonds d’entreprises ayant des liens avec l’Afrique du Sud, à la suite des pressions exercées par des mobilisations étudiantes.
L’Université a rejeté en bloc les demandes des grévistes et refuse de tenir une rencontre publique pour discuter de sa position avec les étudiants mobilisés. L’intransigeance de l’administration universitaire ne fait que renforcer leur détermination.
Lorsque nous nous parlons, mardi matin, Sage et Shadi en sont à quelques jours de jeûne ; la fin d’un relais de trois jours pour l’une, et le début d’une grève illimitée pour l’autre. La faim, me disent-ils, s’insinue entièrement dans leur quotidien. Douleurs jusque dans les os, pensées envahissantes en lien avec la nourriture, incapacité de se concentrer, fatigue, faiblesse. Leur intégrité physique et mentale est compromise. Sauf que dans les circonstances, le business as usual n’est plus possible.
McGill se présente comme un établissement de prestige, m’explique Shadi. « Mais je vais à l’école et je vois que l’argent de mes frais de scolarité est utilisé pour bombarder le pays de mes amis, pour bombarder mon pays aussi, le Liban. L’endroit où ma mère, ma famille ont vécu est en train d’être détruit avec mon argent. » Il s’agit d’une douloureuse absurdité : « Je ne vois pas d’intérêt au prestige universitaire. À quoi bon, si ça sert de justification pour tuer et blesser la famille de mes amis, ma famille et mes amis ? »
Lorsque les institutions se cramponnent à une posture immorale aux yeux de celles et ceux qui les animent, lorsqu’elles se ferment au dialogue, elles perdent leur sens. Ce qui se vit à l’échelle d’une université peut facilement être extrapolé à l’ensemble de la société. Alors que la gravité de la crise humanitaire à Gaza est horrifiante, la relative mollesse de la posture adoptée par nos gouvernements induit un sentiment d’absurdité similaire.
Après cinq mois de bombardements féroces sur Gaza, cinq mois d’images de corps mutilés, d’enfants affamés, de civils entassés dans une enclave toujours plus exiguë, après l’accumulation des recours judiciaires pour violation du droit international, la persistance de la complaisance d’une grande partie de la communauté internationale à l’égard d’Israël dépasse l’entendement.
Les demi-mots dans les appels au cessez-le-feu, les demimesures de l’attribution d’aide humanitaire, les appels timides au respect du droit international, l’absence de considération sérieuse de possibles sanctions : tout cela induit un décalage insupportable entre le caractère objectivement immoral de ce qui se déroule sous nos yeux et la réaction des institutions politiques.
Actuellement, à Gaza, plus de 90 % des enfants de moins de 2 ans et 95 % des femmes enceintes ou allaitantes sont en situation d’insécurité alimentaire sévère. Un enfant de moins de 2 ans sur six souffre de malnutrition aiguë. Vu la nette insuffisance des denrées alimentaires qui parviennent dans l’enclave, les gens en sont réduits à s’alimenter avec de la nourriture pour animaux. Les enfants s’effondrent dans les rues, meurent de faim.
Cette semaine, une publication sur X surréaliste du président français, Emmanuel Macron, montrait des paquets de denrées parachutés d’un avion survolant Gaza. « La solidarité à l’oeuvre », écrivait-il. Les gouvernements occidentaux se félicitent d’envoyer quelques convois d’aide humanitaire, mais aucun d’entre eux n’ose réellement faire pression là où ça compte, en employant des moyens matériels et économiques concrets. La performance de la solidarité n’accomplit pas grand-chose, et l’inaction dit tout.
Face à une telle discordance entre le réel et ce qui se déroule sous nos yeux, faire la grève de la faim pour protester contre le déni radical d’humanité infligé au peuple palestinien apparaît en définitive comme une réaction saine dans un monde devenu fou.