Une fête douce-amère
Alexa-Jeanne Dubé livre un film d’art expérimental, Sucré seize, sur les tourments de l’adolescence au féminin
On l’a répété sur toutes les tribunes depuis la pandémie. Les adolescents — en particulier les jeunes filles — vont mal. Les taux d’anxiété et de dépression atteignent des sommets. Sweet sixteen ? À d’autres !
Dans le film Sucré Seize, une adaptation de la pièce de théâtre éponyme de la dramaturge Suzie Bastien, la réalisatrice Alexa-Jeanne Dubé donne voix et visage à ces adolescentes dans un récit onirique et pictural qui relève davantage du film d’art que de l’oeuvre de fiction.
En ouverture, huit jeunes femmes se baignent dans une étendue d’eau, dans laquelle elles rient, dansent, s’éclaboussent dans cette apparente légèreté qu’est celle de la jeunesse. Puis, la caméra se fixe, en gros plan sur chacun des visages, desquels la joie s’est effacée pour faire place à l’introspection, à la tourmente, à une quête, peut-être, illuminée d’une sorte d’espoir naïf. Un pied dans l’enfance, un pied dans l’âge adulte, elles font face à des tourments, des élans, des craintes et des violences qui se tiennent bien loin des clichés.
Construite sous la forme d’une symphonie, l’oeuvre est découpée en quatre mouvements — l’obsession, la fuite, la violence et le monde —, tous constitués de différents tableaux. Dans chacun d’eux, l’une des jeunes filles, campée dans un lieu évocateur et poétique — au sommet d’une falaise, au creux d’un lac, parmi les cailloux d’une carrière, au sein du sol de la forêt, sous une montagne de sable et de fruits —, livre un monologue théâtral et incarné sur les secrets qui habitent son coeur.
Anxiété, troubles alimentaires, premiers émois amoureux, agressions sexuelles, inceste, intimidation : autant de sujets abordés comme une fresque d’angoisses, de défis, de hantises, et captés dans l’intimité d’une caméra à l’épaule, dans une mise en scène un peu artificielle, comme si les personnages se livraient à leur journal intime, avec tout ce que cet exercice comporte de créativité, et, d’une certaine manière, de distance.
Esthétisme et onirisme
Alexa-Jeanne Dubé écarte le réalisme au profit de choix esthétiques symboliques et oniriques qui se veulent en accord avec l’origine théâtrale du film. Les tableaux ainsi composés sont par ailleurs de véritables oeuvres d’art qui restent longtemps en tête, et qui évoquent avec brio la réalité intérieure de l’adolescence — toute en contrastes, en vertiges, en révoltes — ainsi que son rapport viscéral au corps.
Bien que la présentation exige davantage d’attention qu’un récit linéaire traditionnel, elle a l’avantage de pouvoir témoigner de l’adolescence et d’une génération dans sa globalité et d’aborder une multitude de perspectives, et donc, de thèmes, sans se soucier des pièges misérabilistes et mélodramatiques du réalisme. Le long métrage est également traversé de lumières et du frisson de la nouveauté, rappelant que la résilience et la survie guettent quelque part dans la découverte de soi.
Les huit comédiennes au centre du récit, toutes finissantes d’écoles de théâtre, livrent des performances allant du grandiose au convaincant — leur âge les rendant parfois un peu trop matures pour leur personnage — et ne laissent aucun doute quant à la robustesse de l’avenir du Québec en théâtre.
Le film d’Alexa-Jeanne Dubé n’est peut-être pas assez accessible pour faire l’unanimité, mais possède la rare qualité de raviver les promesses de la prise de risque en art. Rafraîchissant.