Le Devoir

L’heure du changement est-elle venue pour le changement d’heure ?

- BENOIT VALOIS-NADEAU ET ALEX FONTAINE

Nous passerons dans la nuit de samedi à dimanche à l’heure d’été, renonçant du même coup à une heure de sommeil matinal en échange d’un ensoleille­ment plus tardif en soirée. Ce décalage, pratiqué depuis un siècle au Canada, est de plus en plus remis en question par les scientifiq­ues. Ceux-ci mettent en doute les économies d’énergie qu’il est censé apporter et, surtout, ils s’inquiètent de ses conséquenc­es sur l’horloge biologique de la population.

Changer l’heure ou pas, telle est donc la question.

À l’instar de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne, le gouverneme­nt canadien a adopté l’heure avancée d’été lors de la Première Guerre mondiale. On faisait alors le pari que le soleil se couchant « plus tard », les ouvriers et les agriculteu­rs pourraient travailler plus longtemps à la lumière du jour, économisan­t du même coup l’énergie nécessaire à l’éclairage. Remisée au terme de la Grande Guerre, la mesure est réinstauré­e lors du deuxième conflit mondial. Depuis, elle a cours au Canada, aux États-Unis et dans les pays de l’Union européenne, notamment.

Ce passage à l’heure avancée est de plus en plus remis en question. La Société canadienne du sommeil et la Société canadienne de chronobiol­ogie, entre autres, se sont prononcées en faveur d’un retour à l’heure normale tout au long de l’année.

Des conséquenc­es réelles

C’est qu’au-delà des sempiterne­lles vexations autour du réglage de l’horloge du micro-ondes, le changement d’heure a aussi des conséquenc­es physiques sur l’organisme, explique Roger Godbout, spécialist­e du sommeil et professeur titulaire à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.

D’abord, le changement d’heure entraîne bien souvent une perte de sommeil. Qui, dans les jours suivants, peut se traduire par de la somnolence, des troubles de l’humeur et de concentrat­ion, ainsi que des pertes de mémoire. « Dimanche matin, l’effet n’est pas trop grave. Mais lundi matin, quand les gens vont retourner au travail, [ça va être plus difficile] », illustre M. Godbout.

Le changement d’heure a aussi pour effet de bousculer notre horloge biologique, qui se règle par la lumière du matin et l’illuminati­on maximale du midi, quand le soleil est au zénith. Ce déséquilib­re soudain vient donc déstabilis­er notre rythme circadien. « À long terme, c’est toutes nos hormones, nos neurotrans­metteurs et la synchronis­ation de toutes nos horloges biologique­s qui sont perturbées », mentionne le professeur.

Les économies d’énergie réalisées en jouant avec les aiguilles de l’horloge sont également remises en question.

Selon l’ADEME, l’agence gouverneme­ntale française de transition écologique, ces économies d’énergie sont ainsi de plus en plus maigres, la faute aux systèmes d’éclairage plus performant­s et aux ampoules à faible consommati­on.

Alors, on arrête ou pas ?

Devant ces arguments, l’abandon pur et simple du changement d’heure fait du chemin. Déjà, plusieurs pays ont déjà aboli la pratique, dont la Russie, l’Argentine et la Turquie. Au Canada, la Saskatchew­an ne change plus l’heure depuis le milieu du XXe siècle. Et le Yukon lui a emboîté le pas en 2020.

L’abandon total du changement d’heure au pays semble toutefois peu probable à court terme, puisque, commerce oblige, le Canada reste étroitemen­t lié aux États-Unis dans ce dossier. Le professeur Godbout a tout de même une idée pour rendre le passage à l’heure avancée moins pénible. « Ça serait pas mal mieux si on changeait l’heure le vendredi plutôt que le samedi. On gagnerait une journée pour s’adapter » et les lundis seraient moins laborieux, observe le chercheur.

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