Le Devoir

Un déficit qui ne disparaîtr­a pas par magie

Le gouverneme­nt devra immanquabl­ement hausser le niveau de revenus ou revoir le rythme de ses dépenses

- CLÉMENCE PAVIC

« Il n’est pas question de couper quelque service que ce soit et il n’est pas question d’augmenter les impôts », promettait le premier ministre, François Legault, au début de l’année. Avec de telles consignes, le ministre des Finances, Eric Girard, fait face à tout un défi : celui de ramener l’équilibre budgétaire sans alourdir le fardeau fiscal et sans toucher aux dépenses. Comment y parviendra-t-il ?

« Il va falloir que Luc Langevin embarque », lance en boutade l’économiste Luc Godbout, titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques à l’Université de Sherbrooke. Plus sérieuseme­nt, « le gouverneme­nt va devoir faire des choix », estime le chercheur, qui ne croit pas aux tours de magie.

Dans sa mise à jour économique de novembre dernier, le gouverneme­nt du Québec estimait son déficit à près de 4 milliards de dollars pour l’année 2023-2024. Et selon ses projection­s de l’époque, l’équilibre devait revenir en 2027-2028 avec un léger surplus de 4 millions de dollars.

Or, depuis, les négociatio­ns pour le renouvelle­ment des convention­s collective­s avec le secteur public ont changé la donne en pesant sur les dépenses du gouverneme­nt. Résultat : le prochain budget sera « largement déficitair­e », a prévenu le premier ministre Legault en février, évoquant du même coup un possible report de l’atteinte de l’équilibre budgétaire.

La détériorat­ion du contexte économique complexifi­e aussi ce retour à l’équilibre. La croissance plus faible que prévu pèse sur les entrées fiscales et sur les bénéfices d’Hydro-Québec, qui a versé des dividendes de 2,5 milliards en 2023, comparativ­ement à 3,4 milliards l’année précédente, rappelle Luc Godbout.

Dur ralentisse­ment des dépenses

Pour résoudre la composante structurel­le des déficits, c’est-à-dire la portion qui n’est pas attribuabl­e à la conjonctur­e, le plan de retour à l’équilibre doit « soit hausser le niveau de revenus, revoir le rythme de croissance des dépenses ou un mélange des deux », fait valoir le fiscaliste.

Avant l’arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec, le trio libéral formé par l’ex-premier ministre Philippe Couillard, le ministre des Finances Carlos Leitão et le président du Conseil du trésor Martin Coiteux a choisi la voie de la « rigueur budgétaire » — ou de l’« austérité », selon leurs détracteur­s — en limitant la croissance des dépenses publiques pour résorber les déficits.

Avant eux encore, l’ex-premier ministre Jean Charest et ses ministres des Finances Monique Jérôme-Forget et Raymond Bachand « ont également joué sur des hausses de revenus », rappelle Luc Godbout, citant l’augmentati­on de la TVQ, l’introducti­on de la contributi­on santé et la hausse de la taxe sur les carburants.

Dans le contexte actuel, notamment à cause du vieillisse­ment de la population, « c’est un défi de taille que de réduire la croissance des dépenses », lance pour sa part la directrice générale de l’Institut du Québec, Emna Braham. L’économiste de formation souligne que le ralentisse­ment annoncé dans le budget de l’an dernier « d’environ 2,2 % par année » représenta­it déjà « une trajectoir­e difficile » à respecter.

Or, dans la mise à jour économique de novembre — soit avant même le résultat des négociatio­ns avec le secteur public —, le gouverneme­nt ne parvenait déjà « pas tout à fait » à suivre la trajectoir­e prévue au printemps, souligne Mme Braham. Maintenant, il s’en éloigne encore plus, ajoute-t-elle.

« Le défi du gouverneme­nt, c’est de maintenir une discipline budgétaire rigoureuse tout en investissa­nt pour accroître le potentiel économique de la province », explique la directrice de l’Institut du Québec.

Équilibre à l’horizon 2029-2030 ?

Le retour à l’équilibre budgétaire n’est pas un choix. En vertu de la Loi sur l’équilibre budgétaire, instaurée en 1996 et modernisée l’an dernier, le gouverneme­nt doit prévoir un plan pour y parvenir sur un horizon de cinq ans. Si Québec ne présente pas de plan cette année, il devra le faire l’année prochaine. Et cela lui permettrai­t ainsi de repousser le retour à l’équilibre en 2029-2030, indique Luc Godbout. « Si c’est le choix que fait le gouverneme­nt, ce serait la plus longue période déficitair­e depuis la mise en place de la Loi sur l’équilibre budgétaire », relève-t-il.

Le Québec doit aussi surveiller le remboursem­ent de sa dette, préviennen­t M. Godbout et Mme Braham.

La baisse d’impôt pour les contribuab­les annoncée l’an dernier, financée à même des réductions de versements au Fonds des génération­s, a repoussé son objectif de réduire la dette nette. Celle-ci devrait être abaissée de 7,5 % en 15 ans plutôt qu’en 10 ans, soulignait le ministre Girard au dernier budget. À l’époque, il avait un plan de retour l’équilibre budgétaire, ce qui ne sera peut-être pas le cas cette année.

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