Le marché du carbone rapporte une cagnotte record à Québec
Les ventes aux enchères de l’an dernier ont généré des recettes de plus de 1,5 milliard de dollars
Le gouvernement du Québec a engrangé plus de 1,5 milliard de dollars en provenance du marché du carbone l’an dernier. Un montant record qui lui permettra d’alimenter son budget de mardi.
Jamais le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission (SPEDE) n’avait généré autant de revenus en une année au Québec. Les quatre ventes aux enchères tenues en 2023-2024 sur le marché du carbone ont fait apparaître une manne d’un milliard et demi dans les coffres du gouvernement, soit 200 millions de plus que ce qu’il anticipait l’an dernier. « Le gouvernement a été conservateur dans ses estimations », constate le professeur Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, en entrevue avec Le Devoir.
Si Québec peut compter sur cette nouvelle cagnotte, c’est notamment grâce à la valeur grandissante des unités rendues disponibles sur le marché du carbone. Elles se vendaient à moins de 40 $ il y a un an ; leur valeur a grimpé au-delà de 50 $ lors de l’encan de février 2024, qui a engendré des revenus de 418 millions de dollars.
À sa dixième année complète d’activités, le SPEDE génère des recettes presque six fois plus élevées qu’à son lancement.
Dans les dernières années, la quasitotalité des sommes dénichées à même le marché du carbone a été versée dans le Plan pour une économie verte (PEV), qui finance les principales mesures gouvernementales de lutte contre les changements climatiques. Dans son budget 2023-2024, Québec y avait d’ailleurs déposé 1,4 milliard de dollars, principalement en provenance » du SPEDE.
Le Devoir n’a pas été en mesure de confirmer quelle part des nouveaux revenus du marché du carbone apparaîtra au budget de mardi. Or, dans un courriel, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs a rappelé que, « de par la loi, l’entièreté des revenus du marché du carbone doit être versée au Fonds d’électrification et de changements climatiques [anciennement le Fonds vert], qui lui-même est entièrement affecté au financement des mesures de lutte contre les changements climatiques ».
Depuis la publication du Plan pour une économie verte 2030, « 100 % des revenus du marché du carbone ont donc été dédiés au financement des mesures des plans de mise en oeuvre du PEV », a ajouté le conseiller en communications au ministère Frédéric Fournier.
Comme chaque année, le plan vert du ministre Charette sera mis à jour ce printemps. En mai 2023, il disposait d’un budget de neuf milliards de dollars sur cinq ans.
Priorité au transport collectif ?
En entrevue avec Le Devoir à quelques jours du budget, la directrice adjointe aux relations gouvernementales de l’organisme Équiterre, Alizée Cauchon, incite le gouvernement Legault à profiter de cette manne pour rehausser le financement du transport collectif. « Ce qu’on souhaite, c’est que l’offre de service soit augmentée à 7 % annuellement. Puis cette hausse, on pourrait aller la chercher via des sources qui sont plus stables, comme le marché du carbone », souligne-t-elle.
« Il y a une crise de financement des services de transport collectif qui nécessite une réinjection de fonds massive », ajoute le responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada, Patrick Bonin. « Ça doit mener à une augmentation de l’offre, pas juste faire en sorte de revenir aux niveaux précédents et d’éviter les coupes. »
En plus du milliard et demi qu’il a reçu du marché du carbone en 20232024, Québec a à sa disposition l’ensemble des surplus accumulés dans le Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC) au cours des dernières années. Dans son dernier rapport annuel, qui date de mars 2023, celui-ci faisait état d’un excédent de 1,7 milliard de dollars dans ses coffres.
Il a été impossible de confirmer cette semaine si ces sommes avaient déjà été dépensées. À la mise à jour économique de novembre 2023, Québec avait retiré près de 300 millions de dollars du fonds pour rehausser le soutien en adaptation aux changements climatiques, dans le contexte des feux de forêt de l’été précédent.
Aller plus loin
À l’autre bout du fil, Pierre-Olivier Pineau insiste pour que le Québec aille chercher de nouvelles sources de revenus en environnement, au-delà du marché du carbone. « En fait, le vrai outil, c’est la contrainte », soutient-il, en rappelant l’importance de l’écofiscalité pour décourager les émissions polluantes.
« Pour moi, un milliard et demi de plus dans la cagnotte, ça peut même être problématique », affirme l’expert en politiques énergétiques. « Dans le sens où, si ça nous fait acheter des voitures électriques — et on a une bonne partie de ce milliard-là qui va dans les voitures électriques —, on tombe dans un paradigme d’auto solo et d’étalement urbain. Et ça, c’est très mauvais pour la lutte contre le changement climatique à long terme. »
Selon Patrick Bonin, seule une politique de bonus-malus permettra réellement au Québec d’atteindre ses objectifs climatiques. « Il faut décourager l’achat de véhicules très énergivores neufs. Ça, ça permettrait d’avoir un programme qui s’autofinance : donc, le malus servirait à payer le bonus — le rabais — sur les véhicules écoénergétiques », dit-il.
Malgré son budget de 9 milliards sur cinq ans, le plan vert gouvernemental ne permet d’ailleurs d’atteindre que 60 % des cibles climatiques pour 2030, rappelle M. Bonin. En appliquant « le principe du pollueurpayeur », le gouvernement se donnerait les outils pour réduire le fossé vers la transition climatique, dit-il.
Depuis 2013, le marché du carbone impose à l’industrie d’acheter des droits d’émission pour « couvrir » les tonnes de GES qu’elle émet dans l’air. Une des manières de se procurer ces droits est la vente aux enchères du marché du carbone, qui a lieu quatre fois par année. Étant donné la hausse du prix pour polluer, et même si le nombre d’unités est réduit annuellement pour permettre une diminution des émissions, les revenus de ces encans n’ont cessé d’augmenter.
Le gouvernement Legault entend d’ailleurs réformer en profondeur le SPEDE au cours des prochains mois. Une occasion de notamment revoir la quantité de droits d’émission mis en vente annuellement.
Le gouvernement a été conservateur dans ses estimations
PIERRE-OLIVIER PINEAU