Le duel culturel des nations au Québec
La chronique de Jean-François Lisée intitulée « Identité anti-québécoise » ayant fait réagir, j’aimerais préciser une petite chose. Le mépris des « Kebs », bien réel dans les écoles secondaires de la grande région de Montréal, ne tire pas sa source des communautés allophones. Pas la moindre goutte. Il existe à cause d’un duel — le duel culturel des nations, nouveau concept en sciences humaines que j’ai forgé.
En voici une très, très brève esquisse. Partout sur Terre, des nations dominantes tentent d’assimiler des nations dominées qui leur résistent en retour. Sauf exception, le désir d’assimilation d’une nation dominante ne s’exprime jamais clairement. Elle utilise le discours pour persuader la nation dominée qu’elle doit accepter d’elle-même son assimilation, parce que sa culture serait inférieure, entre autres.
Dans notre cas de figure, de nombreux jeunes allophones rejettent la culture québécoise en prétextant qu’elle serait moins intéressante que la leur — et même que toutes les autres. Ce refrain, je le connais bien. Certains de mes amis, certains membres de mon entourage et mon propre père, un Péruvien, le chantaient il y a 40 ans (avant les réseaux sociaux, Netflix et le reste, donc). Le duel se déroule aussi entre les nations à l’échelle mondiale, mais nous n’avons pas la place pour en discuter ici.
Ce n’est pas tout. Les jeunes Québécois — et les Québécois en général — dénigrent de plus en plus leur langue, leur musique, leurs films, leur culture. Aucune chanson québécoise en français ne figure au palmarès des 100 chansons les plus écoutées sur les plateformes musicales au Québec, rappelez-vous. On a su ça l’été dernier.
Plusieurs allophones et francophones chantent à l’unisson l’infériorité culturelle du Québec. D’où ce refrain provient-il, croyezvous ? De notre nation dominante à tous, le Canada. Nous baignons en permanence dans une atmosphère aliénante. Nous intériorisons le message selon lequel la nation québécoise ne peut pas exister par elle-même, penser par elle-même, être libre.
Mais le duel culturel des nations n’est pas une fatalité. La nation dominée résiste, et peut même contre-attaquer pour se libérer de son oppresseur. Ça ne fonctionne pas toujours. Mais dans notre cas, il suffirait d’y mettre l’énergie et les ressources nécessaires.
Notre jeunesse, d’où qu’elle provienne, est ouverte : c’est le propre de la jeunesse. Qu’on la mette en contact avec des oeuvres culturelles québécoises. Qu’on finance la culture pour vrai, qu’on la valorise pour vrai. Ça presse. Que l’on réforme aussi (encore) les cours d’histoire au secondaire.
Relents de Conquête
Je peux vous raconter une anecdote ? Il y a environ trois ans, je remplaçais dans un cours d’histoire du Québec et du Canada de quatrième secondaire. Nous passions quelques minutes sur la crise d’Octobre, montre en main. (Les manuels scolaires ne parlent d’ailleurs jamais bien longtemps des moments croustillants, ça pourrait en réveiller quelques-uns.)
À un moment donné, un jeune fronce les sourcils en faisant sa lecture et lève la main : « Monsieur, pourquoi notre livre ne parle-t-il pas de la responsabilité du Canada dans la crise d’Octobre ? » Il ne devait pas avoir plus de 16 ans, ce garçon. Je pensai alors à la gigantesque armada de jeunes qui sont passés par notre système scolaire sans avoir l’occasion de prendre possession de leur histoire, sans jamais connaître le point de vue — j’oserais dire — local.
Nous ne nous racontons pas notre propre histoire. Toujours passer par le Canada. Toujours le même message : le Québec ne peut pas exister par lui-même. Alors voilà. Les jeunes allophones dont on parle ne méprisent pas les Québécois de longue racine : ils ont intériorisé la même chose qu’eux. Un message qui vient de loin, très loin.
Les conquérants britanniques croyaient que dans leur langue et leur culture résidait le secret de la civilisation. Dans La guerre de la Conquête, son grand classique, Guy Frégault rapporte à un moment donné des dépêches de journaux de 1755-1760, dans lesquelles des Anglais se félicitent de leurs droits individuels, de leur liberté de presse (toute relative à l’époque, mais c’est un autre sujet) et raillent en même temps la France en la dépeignant comme un endroit digne du Moyen Âge.
Après la Conquête, cette propagande ne s’est tout simplement pas arrêtée.