Le Devoir

Déficit pédagogiqu­e à la CAQ

- BRIAN MYLES

Dans la chambre d’écho du gouverneme­nt Legault, tout va pour le mieux. C’est la faute des militants, des ignares et d’opposants en vrac si le projet de Northvolt ne reçoit pas l’assentimen­t de la population. Nous, pauvres paysans, ne pouvant chasser le faisan, présentons nos plus plates excuses au ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, un homme qui ne doute de rien, et surtout pas de lui-même.

D’abord, un mot sur le projet de Northvolt et sur ses retombées économique­s et ses conséquenc­es environnem­entales. Cette usine de production de batteries est essentiell­e aux efforts de décarbonat­ion du Québec. C’était d’ailleurs la meilleure ligne du ministre de l’Environnem­ent, Benoit Charette, qui y est allé d’une étonnante sortie dans La Presse et dans des entrevues à la radio. En résumé, il reconnaît que le gouverneme­nt a aidé Northvolt à éviter la tenue d’un examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE) en raison des délais. « Je n’ai pas 18 ou 24 mois à perdre. Je suis à six ans de devoir livrer des objectifs extrêmemen­t ambitieux. On est dans une course contre nous-mêmes », a-t-il dit.

L’analogie de la course vaut autant pour l’atteinte des cibles du Québec en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) que pour les délais d’approbatio­n de l’usine de Northvolt à McMastervi­lle, une multinatio­nale qui a l’embarras du choix pour ce qui est d’établir son usine parmi les destinatio­ns mondiales. L’urgence d’agir, partagée par Québec et Northvolt, a dicté le cours empressé de ce projet, quitte à court-circuiter le processus d’analyse d’impact environnem­ental. À la décharge du ministre, la filière batterie ouvre des perspectiv­es inédites au Québec, et il fallait bien élaborer de nouvelles règles d’examen environnem­ental à ce sujet. Le hasard a voulu que ces nouveaux barèmes permettent à Northvolt d’échapper au BAPE.

Le ministre Charette a beau répéter que le projet fera l’objet d’une étude de son ministère à toutes les étapes de la réalisatio­n, il ne réussit pas à dissiper le malaise. D’ailleurs, les groupes environnem­entaux et les partis d’opposition ont rapidement dénoncé le caractère « surréalist­e » de ses explicatio­ns.

Depuis quelques mois, le gouverneme­nt Legault banalise les critiques et les interrogat­ions sur le projet de Northvolt. Son principal promoteur, Pierre Fitzgibbon, a attaqué la réputation de deux journalist­es, du Devoir et de Radio-Canada (Alexandre Shields et Thomas Gerbet), qu’il a qualifiés de « militants de mauvaise foi ». Ce faisant, il s’en est pris à ce qu’un journalist­e a de plus précieux, soit sa crédibilit­é. Certes, les journalist­es et les médias ne sont pas exempts de critiques, mais celles de Pierre Fitzgibbon viennent avec un excès victimaire suscitant un malaise compte tenu de ses fonctions d’influence.

Ce ne sont pourtant pas les sceptiques qui manquent pour ajouter leur grain de sel dans le débat sur l’acceptabil­ité sociale du projet de Northvolt. La longue liste des « militants » englobe des partis d’opposition, des environnem­entalistes et de simples citoyens qui commencent à se poser aussi des questions sur la volonté du gouverneme­nt de trouver le point d’équilibre entre le développem­ent de l’économie verte et la protection des écosystème­s et des population­s. Quand un projet est lancé dans l’enthousias­me alors qu’on ignore encore les conséquenc­es qu’il aura sur la qualité de l’air et les rejets dans l’eau, comment un gouverneme­nt peut-il espérer qu’on lui livre un certificat de bonne conduite ?

Les critiques du projet de Northvolt ne sont pas toutes d’égale valeur. Ce site possédant une « haute valeur écologique », selon l’analyse du ministère de l’Environnem­ent, est en fait un terrain d’usage industriel depuis plus d’un siècle, sur lequel la nature a repris ses droits après la fermeture de la Canadian Industries Limited (une usine d’explosifs) en 1999. Le terrain reste grandement contaminé, si bien que les comparaiso­ns entre son potentiel de valorisati­on immobilièr­e et son potentiel de valorisati­on industriel­le conservent un caractère hautement symbolique. Les plans d’implantati­on des deux projets ne se comparent tout simplement pas. Les efforts de Northvolt ne reçoivent pas leur juste part d’attention et de considérat­ion dans l’analyse. L’entreprise versera 4,75 millions de dollars pour compenser la destructio­n de milieux humides et elle envisage d’en recréer d’autres sur des terres agricoles (une idée critiquée).

Le ministre Fitzgibbon n’a malheureus­ement pas la patience des grands pédagogues pour apporter ces nuances. Mais surtout, il ne se rend pas compte que le manque de transparen­ce du gouverneme­nt est la principale source des critiques. Il est encore temps d’accroître l’acceptabil­ité sociale du projet de Northvolt et de rassurer la population sur ses effets environnem­entaux. Ce devoir échoit au gouverneme­nt Legault, et il ne pourra l’accomplir en misant sur la distributi­on de blâmes et la recherche de faux-fuyants.

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