Sardou le dur
Michel Sardou n’est pas un de mes chanteurs français favoris. Je lui préfère Bernard Lavilliers, Francis Cabrel, Julien Clerc, Yves Duteil, Renaud et Michel Fugain, pour ne nommer que des vivants.
Force m’est néanmoins de constater que Sardou, dès qu’il fait entendre sa grosse voix puissante, en impose. Je vais t’aimer, son immense succès de 1976, ça déchire, comme le disent les Français, bien que, d’un autre point de vue, ça puisse aussi agresser si, comme c’est mon cas, on ne voit pas bien ce que vient faire le marquis de Sade dans une chanson d’amour. Sardou, c’est ça : un chanteur de charme farouche.
Je devais avoir 14 ans quand je l’ai écouté pour la première fois sérieusement. Je connaissais déjà ses tubes
En chantant (1978) et La maladie d’amour (1973), qui jouaient souvent et un peu partout, mais j’ai vraiment accroché en l’entendant chanter, dans une émission de variétés québécoise, Si l’on revient moins riche (1983).
J’étais ado, je rêvais d’un monde plus juste, attaché à l’art et à la vie plutôt qu’à l’argent. J’ai reconnu cet appel dans cette chanson. Être moins riche, entendais-je, on s’en fout, puisque vivre d’amour et d’eau fraîche vaut mieux.
J’ai compris ma méprise, des années plus tard, en me penchant sur le texte de la chanson. Sardou, au fond, qui est un nouveau riche impénitent, chante là une bourgeoise invitation au voyage, ce dont je n’ai rien à faire. N’empêche, j’avais découvert une voix. La musique, parce qu’elle parle au coeur, a ses raisons que la raison ne connaît point.
J’ai néanmoins été surpris d’apprendre qu’un éditeur français spécialisé en histoire consacrait un ouvrage à Sardou. Y avait-il tant à dire, surtout d’un point de vue historique, sur un chanteur toujours vivant qui n’a tout de même pas changé la face du monde ? Le souvenir de mon émotion d’adolescence m’a donné envie d’y aller voir.
Dans Michel Sardou. Vérités et légendes (Perrin, 2023, 192 pages), Florent Barraco, journaliste au Figaro, met en avant un Sardou controversé qui a souvent été mêlé aux débats sociaux français depuis un demi-siècle. Au Québec, le chanteur apparaît comme un artiste de variétés chic. En France, les militants de gauche le considèrent comme un réactionnaire imbuvable, voire dangereux. Sardou, il faut le dire, est une grande gueule qui ne déteste pas la provocation.
En 1976, en s’inspirant d’une histoire vraie, il écrit Je suis pour, une chanson dans laquelle le père d’un petit garçon lâchement assassiné se dit en faveur de la peine de mort pour le meurtrier. L’oeuvre déclenche une énorme polémique. Sardou, qui traînait déjà une réputation de misogyne et d’homophobe, est maintenant soupçonné de fascisme par la gauche la plus militante.
En 1978, le linguiste Louis-Jean Calvet et le musicologue Jean-Claude Klein publient Faut-il brûler Sardou ?, un essai dans lequel ils dénoncent l’idéologie droitière et irresponsable du chanteur. Ce dernier recevra toutefois l’appui d’artistes de gauche comme Yves Montand, Jean Ferrat et Maxime Le Forestier.
Sardou ne chante plus Je suis pour depuis longtemps. La chanson, pourtant, n’a rien de scandaleux. En se mettant dans la peau d’un père dont le petit vient d’être assassiné, on peut comprendre, sans y adhérer, le désir de vengeance. Si l’art ne permet pas de telles émotions, à quoi sert-il ?
Le commentaire vaut aussi pour la chanson Les villes de solitude (1973), dans laquelle un homme ivre et désoeuvré, errant dans un désert urbain, a des fantasmes de violence et de viol, qu’il finit heureusement par réprimer. C’est de la psychanalyse en chanson. Prise au mot et en pièces détachées, l’oeuvre est intolérable, mais c’est qu’elle cherche, justement, à exprimer les dangers de la solitude involontaire moderne.
Bien qu’il soit un jeune trentenaire, Barraco ne cache pas son admiration pour le chanteur de 77 ans. Il est vrai, reconnaît-il, que Sardou, « légèrement macho, largement vantard, peu porté sur le partage des tâches ménagères », n’est pas dans l’air du temps et penche à droite.
Il se dit gaulliste, a appuyé Giscard en 1974, Chirac en 1995 et Sarkozy en 2007, avant de s’en dire déçu. Il a toujours, par ailleurs, admiré Mitterrand et a même reconnu des qualités à Mélenchon avant de le diaboliser. On ne trouvera pas, non plus, à l’extrême droite celui qui affirme que Zemmour et Le Pen ne disent que des conneries.
En politique, Sardou, comme on dit en France, clashe tout le monde et dit lui aussi beaucoup de conneries. « C’est plutôt, résume Barraco, un “anar” individualiste, donc de droite, qui se moque des conventions et des institutions. »
Je ne voudrais pas d’un tel homme comme ami. Ça ne m’empêche pas d’être ému quand je l’entends chanter Une fille aux yeux clairs (1974) ou que je retrouve ses chansons dans le film
(2014). Je l’aime plus doux que dur.