LA SÉLECTION POÉSIE DE YANNICK MARCOUX ET DE HUGUES CORRIVEAU
Peur pietà
1/2 Nicholas Dawson, Noroît, Montréal, 2024, 120 pages Chapelets de résistance
La figure poétique de Peur pietà, de Nicholas Dawson, confond « l’inquiétude et l’amour », au moment où la maladie et le dérèglement du cosmos font jouer leur décompte maudit. En quête d’apaisement, il convoque les rituels de celles qui l’ont mis au monde. Abuela, avec « ses doigts enflés de miséricorde », sa madre et son « inutile culpabilité » qui « use ses genoux » et sa hermana, liée à lui par une langue secrète et un amour qui, depuis toujours, sait réconcilier leur peur : « entre la mer et la Cordillère nos prophéties / rimées trois fois répétées / mettaient fin aux sanglots ». Entre berceuse et prière, peurs, croyances et espoirs s’enlacent dans une danse qui, malgré l’inéluctable fin, n’a rien de macabre. Au plus près de l’abîme, les vers se décrispent, embaument la peur de leurs parfums oecuméniques, et de ces rituels symphoniques émerge une communion sacrée, le voeu pieux d’une famille qui s’accroche « à la dernière seconde pour qu’elle s’étire comme l’avenir que l’exil nous a promis ».
Yannick Marcoux
#Messiaen Opéra de la déconnexion
1/2 Bertrand Laverdure, Mains libres, Montréal, 2024, 114 pages
Il y a beaucoup à se mettre sous la dent dans le plus récent recueil de poésie de Bertrand Laverdure, Opéra de la déconnexion. S’ouvrant sur la fin de la télévision, « ce premier robot à régulation sociale », le recueil nous invite à « tout jeter pour retrouver la fable, réapprendre à voyager sans casque ». L’écriture est d’abord un jeu où le personnage-narrateur poursuit une allégorie qu’il voudrait adouber à la musique d’Olivier Messiaen. Malgré les supplications de ce dernier — « Je vous demande d’écouter, donc de ne pas fuir. » —, l’attention est fuyante en cette ère d’hyperconnectivité : « Tout conspire à réactiver ses soucis, nourrir de bouts d’arnaque la machine numérique, participer au théâtre social. » Parfois un peu sentencieuse, cette proposition hybride, entre prose et vers libre, entre poésie et documentaire, est d’une sensible et déroutante lucidité sur notre époque. En guise de cadeau, elle relate les conditions inouïes qui ont mené à la création du Quatuor pour la fin du temps du compositeur français, une ode à la musique, cette « porte invisible vers ce que vous voulez ». Yannick Marcoux
Elle voudrait l’ailleurs encore
Diane Régimbald, Le Noroit, Montréal, 2024, 144 pages Ce que la fille dit de la mère
Ce livre parle de la mère et de la fille, de la difficulté d’être l’une et l’autre : récurrente problématique sous l’écriture des femmes. Diane Régimbald y revient, heureusement, avec un recueil de fouilles et de conscience. Les oeuvres de Sophie Lanctôt, qui ne sont pas sans évoquer superbement celles de Betty Goodwin, éclairent, de façon idoine, le livre en un écho visuel qui s’impose. Ce retour à la mère, ce savoir d’être fille, ce fracas de devenir mère à son tour, voilà le parcours de ces poèmes souvent très touchants, qui poursuivent une vérité intérieure : « je creuse dans les ardoises / ce qui nous lie / là s’inscrit son assise mauve / ses traces où glisse l’eau / que je bois enivrée / j’arrive à lire / les signes qui la composent / j’arrive à graver en moi / son seuil. » Souple, cette écriture sinueuse jamais ne larmoie. Ce livre n’a pas la prétention d’imposer un sujet neuf ; bien au contraire, nombre de citations qui l’accompagnent parlent du même sujet, mais il réussit à dire vrai, sans failles, d’une intimité qui fonde son travail. Tout se joue ici « dans l’aimance insatiable ». Hugues Corriveau
Lettres au ciel blanc
Emmanuel Simard, Poètes de brousse, Montréal, 2024, 64 pages La mer de la tranquillité
Un tout petit livre que celui-ci, avec ses 42 poèmes. Le regard fixé sur les étoiles ou sur la nature, l’auteur cherche le battement calme des jours. On pourrait croire à ce résumé que ce serait exsangue ; et puis non, car le bonheur d’être, de le dire, d’en écrire se suffit parfois de peu de mots. L’auteur se lève-t-il qu’« à la fenêtre, vêtu de rivières, [il] voi[t] un nid de flammes réchauffer des secrets comme des morceaux de céramique sur la rosée ». Mais il est philosophe, le poète, qui sait qu’« une pluie lente sur un soleil fatigué ne peut changer le vent ou l’élan des nuages autant que le permet le coeur ». Écrits en proses, ces textes viennent créer sur le bord du murmure une ambiance vibrante dans ses souffles. C’est que le poète a « déposé les armes, […] fai [t] confiance à l’infini comme à de grands cahiers d’école ». Ce n’est pas naïf, mais plutôt consigné dans la tendresse d’un désir insatiable de sérénité. À lire avec la délicatesse qu’une parole fragile exige. Ce chant, étonnant de nos jours, est très rare, et pouvoir avouer qu’il fait du bien, encore plus.