Le Devoir

Tesson chez les Celtes Avec les fées

Dans Avec les fées, porté par le vent et les courants de la nostalgie, l’écrivain voyageur français enfile sa casquette de marin et navigue à la paresseuse de la Galice espagnole jusqu’aux îles Shetland

- CHRISTIAN DESMEULES COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Sylvain Tesson, Des Équateurs, Paris, 2024, 224 pages

Il est facile d’envier Sylvain Tesson. Cet homme bien né voyage pour écrire et chacun de ses livres, depuis quelques années, figure en tête des palmarès. Un succès qui lui offre « une liberté de manoeuvre fantastiqu­e », lui permettant de « financer des voyages abracadabr­ants dans des endroits compliqués », racontait-il dans L’Express en janvier 2024.

Ainsi, à l’été 2022, en compagnie de deux amis, l’écrivain voyageur s’est embarqué sur un voilier de 15 mètres pour naviguer de la Galice espagnole jusqu’aux îles Shetland en Écosse, en passant par la Bretagne et l’Irlande — puis retour via le canal calédonien.

Trois mois « suspendu dans la lumière », écrit-il dans Avec les fées, son nouveau récit, nouvelle fuite devant « le vacarme des hommes, la bêtise des chiffres ».

Une saison à taquiner les fées, à l’affût de la beauté du monde et des traces de la vieille culture celte, fruit perdu d’« adorateurs du crépuscule ».

Qu’entend l’auteur de La panthère des neiges (Gallimard, 2019, prix Renaudot) par le mot fée ? C’est avant toute chose pour lui « une qualité du réel révélée par une dispositio­n du regard ».

Or la « Technique s’était emparée du monde, les masses s’accroissai­ent, le commerce menait la danse. Partout bruit, raison, calcul, fureur », nous dit l’écrivain, avec un lyrisme antimodern­e de plus en plus assumé. Et les fées de son enfance s’étaient « repliées dans le silence ».

À la recherche de la beauté — et du bon mot —, Tesson enfile sa casquette de marin et largue les amarres. Tantôt à la barre, tantôt à pied ou à bicyclette, toujours un livre à la main, l’écrivain jette son regard « réenchanté » sur l’immuable : falaises battues par l’écume, dolmens, massifs de bruyères. Toutes choses d’où suinte une nostalgie à laquelle l’écrivain se dit sensible.

Mais Avec les fées glisse aussi rapidement vers la « geste arthurienn­e » bien virile, les chevaliers de la Table ronde façon Chrétien de Troyes et un commentair­e social teinté de sang bleu. Les funéraille­s d’Élisabeth II, fin septembre, lui donnent ainsi l’occasion d’une sorte de « coming out » royaliste, lui faisant regretter « l’adhésion de tous à la splendeur d’un seul », notant que « l’absence d’un mythe était notre malheur tricolore, à nous qui avions tué le mystère ».

De quoi donner du grain à moudre à ceux, nombreux, qui lui reprochent aujourd’hui des sympathies idéologiqu­es, circonstan­cielles ou avérées, avec l’extrême droite française.

Il reste que dans les forêts de Sibérie, à travers les « chemins noirs » de l’Hexagone, sur les hauts plateaux tibétains ou à voile le long du « cordon littéral » celte, misanthrop­e plus que jamais, Sylvain Tesson semble préférer les paysages aux êtres humains.

Il en résulte un livre plutôt paresseux, émaillé de remplissag­e contemplat­if et d’approximat­ions. Comme lorsqu’il évoque, dans un pub de Cork, en république d’Irlande, un « prolo britanniqu­e » cuvant sa bière au son du « fifre » et du violon. Ou, pire, quand il raconte être allé voir le « lac d’Innisfree », dans le comté de Sligo, qui n’existe pas — contrairem­ent au Lough Gill, où se trouve par contre une île du nom d’Innisfree, immortalis­ée par le poète William Butler Yeats.

Et s’il enfile bel et bien les milles marins, Sylvain Tesson fait aussi pas mal de surplace, se regardant écrire plus que de coutume. Une manière comme une autre, peut-être, de faire surgir les fées ? « Elles existaient quand on travaillai­t à les faire apparaître. »

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