Le Devoir

Encore possible de sauver le rire cet été ?

Un gros acteur de l’humour suisse tend la main au milieu québécois pour mettre sur pied un festival en remplaceme­nt de Juste pour rire

- ÉTIENNE PARÉ

Acteur de premier plan dans l’industrie du rire, le Suisse Grégoire Furrer juge « catastroph­ique » qu’il n’y ait pas de festival d’humour cet été à Montréal. Pour remplacer Juste pour rire, le producteur propose d’organiser en juillet une édition bonifiée d’Exclam, un petit festival d’humour qu’il a mis sur pied ici l’an dernier dans la métropole. Pour y parvenir en si peu de temps, il tend aujourd’hui la main au milieu de l’humour québécois.

« Il ne faut pas laisser passer un été sans événement d’humour à Montréal. Ce serait catastroph­ique pour Montréal, pour le Québec, mais aussi pour toute l’industrie de l’humour dans le monde. Trop de gens seraient laissés sur le carreau. Il y en a qui risquent de perdre bien plus qu’un été s’il n’y a pas de festival. Ils risquent de perdre un job, de perdre une vocation. En effet, arrêter un événement, ça ne prend que quelques minutes, mais en rebâtir un à partir de rien ensuite, ça peut prendre des décennies », a fait valoir Grégoire Furrer, en entrevue au Devoir.

Il y a 35 ans, Grégoire Furrer a fondé le Festival du rire de Montreux, devenu depuis le Montreux Comedy Festival, l’un des événements phares dans l’industrie, qui réunit chaque année des humoristes des quatre coins de la francophon­ie. Plusieurs Québécois s’y sont déjà produits, comme Mike Ward, Virginie Fortin, Mehdi Bousaidan ou encore Maude Landry. Grégoire Furrer a toujours entretenu des liens étroits avec la Belle Province, d’autant que sa conjointe et partenaire d’affaires, Chloée Coqterre Bernier, est québécoise.

Déjà promoteur de festivals d’humour en France et en Afrique francophon­e, le couple a débarqué au Québec l’an dernier avec Exclam, un événement qui demeure très modeste pour l’instant par rapport à Juste pour rire ou ComediHa !. La seconde édition d’Exclam était prévue en mai, et la programmat­ion devait être annoncée sous peu.

Mais les plans ont changé la semaine dernière, quand le Groupe Juste pour rire s’est mis à l’abri de ses créanciers, annonçant du même coup qu’il n’y aurait pas de festival cet été. Grégoire Furrer propose maintenant de déplacer son événement à la fin juillet, la période durant laquelle Juste pour rire a lieu normalemen­t.

« Il faut absolument qu’il y ait un festival cet été à Montréal. C’est clair qu’en trois mois, on ne réussira pas à offrir quelque chose d’aussi important que Juste pour rire. Mais si on peut compter sur la collaborat­ion du milieu, on peut espérer proposer une édition d’Exclam disons vitaminée par rapport à celle que l’on avait prévue en mai », croit Grégoire Furrer, joint depuis chez lui, à Los Angeles.

« C’est un risque énorme », convientil. « Le risque est sûrement plus grand pour nous que le bénéfice qu’on pourrait en tirer. Mais c’est ça la différence entre un gestionnai­re et un entreprene­ur. Un gestionnai­re ne prendrait jamais un risque comme celui-là à quelques mois d’avis dans un pays étranger. Il attendrait que la crise passe. Pas un entreprene­ur. »

Pas de programmat­ion gratuite

Pour essayer de convaincre les institutio­ns et le milieu de déplacer Exclam en été, Grégoire Furrer peut compter sur l’appui de l’ancienne ministre caquiste de l’Environnem­ent, MarieChant­al Chassé, la présidente du conseil d’administra­tion de l’organisme sans but lucratif à l’origine du jeune festival.

Il est également conseillé dans ce dossier par Jacques-André Dupont, ancien président-directeur général de Spectra, l’entité qui gère les Francos et le Festival internatio­nal de jazz. « Nous avons déjà commencé à parler à des gens dans le milieu. La réponse est très bonne jusqu’ici. Grégoire a très bonne réputation », indique ce vieux routier de l’événementi­el.

Jacques-André Dupont aura passé en tout 31 ans chez Spectra. Il a quitté l’entreprise, qui fait partie du Groupe CH depuis 2013, il y a quatre ans. Autant dire qu’il connaît très bien le modèle d’affaires des festivals extérieurs.

Mais si jamais Exclam a lieu en juillet, il n’y aura pas de programmat­ion gratuite sur l’esplanade du Quartier des spectacles, comme d’ordinaire durant le festival Juste pour rire. Pour Jacques-André Dupont, le modèle d’affaires des festivals gratuits est en crise, et une réflexion sur sa viabilité s’impose.

« Quand Alain Simard a créé le Festival de jazz, en 1980, il n’y avait rien dans ce secteur-là. La Place des Arts était fermée en été et il n’y avait même pas de porte pour rentrer dans le Complexe Desjardins à partir de la rue Sainte-Catherine. Aujourd’hui, il y a des commerces partout. Eux profitent des Francos et du Jazz. Mais ça, ça veut aussi dire que les festivals vendent moins de bières et de t-shirts. Les revenus ont donc diminué, mais les coûts de production n’ont cessé d’augmenter » explique M. Dupont.

Un investisse­ur potentiel pour Juste pour rire ?

Le déclin des revenus est une des raisons parmi celles qui ont plombé le festival Juste pour rire. En lançant Exclam l’an dernier, Grégoire Furrer était-il déjà en train de placer ses pions en vue de la fin des activités du fleuron québécois ? L’entreprene­ur helvète jure qu’il ne savait rien de l’état des finances de l’entreprise.

« J’ai été surpris comme tout le monde en apprenant la nouvelle. Quand nous sommes arrivés au Québec avec Exclam l’an passé, c’était très clair dans notre plan d’affaires : nous arrivions dans un marché où l’on serait le troisième joueur. Notre but était d’être complément­aires à Juste pour rire et ComediHa !. Ça n’a jamais été notre intention de les remplacer », assure le président de GF Production­s.

Sa société s’est démarquée de ses concurrent­s dans les dernières années par sa présence accrue sur les différente­s plateforme­s numériques, comme Instagram et YouTube. Grégoire Furrer vient de mettre fin à un festival d’humour à Cannes qu’il avait récemment repris en main, mais il insiste pour dire que ses affaires vont plutôt bien.

Au moment de la chute de Gilbert Rozon, il avait démontré un intérêt à l’idée de reprendre Juste pour rire, avant de se désister. Pourrait-il cette fois participer au redresseme­nt du groupe ? « Il est encore trop tôt pour parler de ça. Si quelqu’un nous appelle pour regarder le dossier, on le regardera. Mais ce n’est pas la raison de notre sortie aujourd’hui », réitère Grégoire Furrer.

Le président de GF Production­s n’a pas par ailleurs souhaité s’avancer sur ce qui, selon lui, pourrait expliquer les raisons des déboires de Juste pour rire. « Ce n’est pas à moi de juger de ce que Juste pour rire a fait de bien ou de mal. Après, ce que je peux dire, c’est que l’on doit réinventer notre modèle d’affaires continuell­ement. Notre industrie a changé. Il faut faire des choix, qui sont parfois difficiles », souligne-t-il.

Nous avons déjà commencé à parler à des gens dans le milieu. La réponse est très bonne jusqu’ici. Grégoire a très bonne réputation. JACQUES-ANDRÉ DUPONT

 ?? SAMEER AL-DOUMY AGENCE-FRANCE PRESSE ?? Déjà promoteur de festivals d’humour en France et en Afrique francophon­e, Grégoire Furrer et sa conjointe et partenaire d’affaires, Chloée Coqterre Bernier, ont débarqué au Québec l’an dernier avec Exclam, un événement qui demeure très modeste pour l’instant par rapport à Juste pour rire ou ComediHa !.
SAMEER AL-DOUMY AGENCE-FRANCE PRESSE Déjà promoteur de festivals d’humour en France et en Afrique francophon­e, Grégoire Furrer et sa conjointe et partenaire d’affaires, Chloée Coqterre Bernier, ont débarqué au Québec l’an dernier avec Exclam, un événement qui demeure très modeste pour l’instant par rapport à Juste pour rire ou ComediHa !.

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