Le Devoir

Les entreprise­s, la carte cachée du retour à l’équilibre budgétaire

- Charles Milliard L’auteur est p.-d.g. de la Fédération des chambres de commerce du Québec.

Les dés sont jetés, ou presque, puisque le gouverneme­nt du Québec déposera vraisembla­blement mardi un budget qui, dans ses propres mots, sera « largement déficitair­e. » Il s’agirait du quatrième budget de suite de cet acabit. Voilà une source d’inquiétude pour tous les citoyens, qui mérite notre attention.

Nous reconnaiss­ons certes que plusieurs paramètres contextuel­s ont rendu la partie plus difficile au gouverneme­nt actuel, dont la pandémie, la stagnation économique, et la réduction des transferts fédéraux et des redevances d’Hydro-Québec. Quant au coût des négociatio­ns avec le secteur public, nous ne sommes pas de ceux qui y voient une tare économique, malgré les réalités comptables évidentes qu’elles sous-tendent.

Nonobstant ce qui précède, nous en appelons à un meilleur travail de planificat­ion pour l’avenir et à une mise à jour du cap visé pour rétablir la situation. Lors du dépôt du budget en mars 2021, le gouverneme­nt prévoyait un retour à l’équilibre en 2027-2028, cible réitérée dans tous les budgets subséquent­s ainsi que dans les mises à jour automnales, la dernière datant de novembre 2023.

Depuis, plus rien ne tient, alors même que plusieurs des causes de la détériorat­ion du solde budgétaire étaient prévisible­s. Le Québec risque ainsi de s’engager sur une trajectoir­e analogue à celle de l’État fédéral, dont les dépenses, les déficits et les frais de dette publique n’ont cessé de croître audelà des prévisions.

Équilibre

Par chance, nous avons au Québec une loi qui fait office de gardienne du temple. En vertu des nouvelles dispositio­ns de la Loi sur l’équilibre budgétaire adoptées en décembre, un plan quinquenna­l de retour à l’équilibre devra être déposé au plus tard à l’occasion du budget 2025, ce qui repoussera­it le déficit zéro à 20292030, après huit budgets déficitair­es de suite.

Nous ne pouvons qu’encourager le gouverneme­nt à présenter dès mardi (et non en 2025), un plan de retour à l’équilibre sur un horizon réaliste de quelques années. Il faut rectifier le tir rapidement, d’autant que nous avons des cibles de désendette­ment à respecter, garantes de l’équité intergénér­ationnelle. La dette nette, largement supérieure à la moyenne de celles des provinces, doit passer sous les 35,5 % du PIB d’ici 2032-2033.

Alors que faire pour y arriver sans revenir à une réduction des services à la population et sans nuire à la nécessaire compétitiv­ité de nos entreprise­s, qui paient déjà largement le prix de l’incertitud­e actuelle ?

La réponse de notre base d’affaires est limpide : donner à nos entreprise­s les meilleures conditions possible pour stimuler la croissance. À notre avis, il faut provoquer une relance particuliè­rement vigoureuse en stimulant activement la productivi­té du travail, l’investisse­ment et le repreneuri­at, puis recentrer les priorités autour de quelques interventi­ons ciblées, à coût nul ou à faible coût.

D’abord, la conjonctur­e présente au gouverneme­nt l’occasion d’améliorer l’accès aux incitatifs fiscaux et financiers offerts aux entreprise­s, où les paramètres d’applicatio­n sont encore trop complexes pour celles-ci. Il s’agirait également d’une occasion à saisir avec ces incitatifs, pour les aider à gagner en productivi­té.

L’accès au capital de risque doit aussi être renforcé. En 2023, les investisse­ments ont malheureus­ement chuté de 50 % au Québec. Il y aurait donc lieu de devancer, de 2027 à 2025, le déploiemen­t du solde des 500 millions de dollars prévus pour la capitalisa­tion de fonds à la Stratégie québécoise de recherche et d’investisse­ment en innovation.

Relève

Par ailleurs, plusieurs milliers d’entreprene­urs vendront ou transférer­ont leur société à brève échéance. Cette population d’entreprise­s assure une concurrenc­e stimulant la productivi­té. Pour la préserver, un programme sélectif et ambitieux de garanties de prêts destiné aux repreneurs permettrai­t de mobiliser le secteur financier autour de l’enjeu de la relève entreprene­uriale, crucial pour la relance comme pour notre prospérité à long terme.

Enfin, les entreprene­urs sont formels : la lourdeur réglementa­ire et administra­tive est un sérieux frein à la productivi­té. La Fédération des chambres de commerce du Québec a récemment formulé plusieurs propositio­ns visant à rehausser l’ambition et l’effet des prochains projets de loi omnibus en matière d’allégement. Il faut agir avec plus d’empresseme­nt sur ce front.

Le ministre Girard n’a pas une partie facile devant lui et il devra pouvoir compter sur toutes les forces vives du Québec pour rétablir l’équilibre budgétaire. Les entreprise­s du Québec ont un rôle crucial à jouer pour redynamise­r notre économie, générer une croissance durable et développer des projets qui, partout au Québec, nous permettron­t de financer notre progrès social.

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