Le Devoir

L’universali­té des soins de santé en péril

Les progrès de la médecine sont remarquabl­es, mais extrêmemen­t coûteux

- Jean Crevier L’auteur est médecin retraité

Les iniquités sociales augmentent. Les bien nantis sont de plus en plus riches et les pauvres, de plus en plus pauvres et nombreux. On estime qu’un ménage sur quatre environ peine à payer l’épicerie, le logement, les médicament­s et le chauffage tous les mois.

Les itinérants souffrant de dépendance­s diverses, de troubles mentaux, de précarité financière ou d’évictions sauvages ne peuvent pas toujours trouver les ressources pour se refaire une vie un peu décente.

Les RPA ferment entre autres parce que les résidents en perte d’autonomie n’ont pas les moyens de payer les soins de base essentiels à leur bienêtre, comme des soins d’hygiène et l’aide aux repas.

On estime qu’il manque de 10 000 à 20 000 travailleu­rs de la santé au Québec. L’offre de services est déficiente.

Les listes d’attente en chirurgie, en imagerie médicale et pour d’autres services profession­nels s’allongent dans le réseau public.

Les plus riches ont le loisir de se tourner vers le privé pour éviter les listes d’attente, souvent à grands frais cependant, tout en drainant les ressources humaines, déjà en pénurie, hors du réseau public. La grande majorité des Québécois ne peuvent pas se payer le luxe du privé.

Par ailleurs, les progrès de la médecine sont remarquabl­es, mais extrêmemen­t coûteux. Une thérapie génique pour la dystrophie musculaire de Duchenne ou l’hémophilie B coûte un million de dollars. Un traitement de la leucémie lymphoblas­tique aiguë par CAR-T cell coûte 500 000 dollars.

Luxurna, pour la dystrophie oculaire héréditair­e, coûte un million de dollars. Heureuseme­nt, ces maladies affectent un très petit nombre de patients et risquent moins de grever les budgets en santé. Ozempic à 400 dollars par mois semble une aubaine, mais pourrait théoriquem­ent être pris à vie par un milliard d’obèses, qui, pour la plupart, n’ont pas les revenus suffisants pour payer 5000 dollars par année.

On espère très bientôt diagnostiq­uer la maladie d’Alzheimer à un stade précoce avec une simple prise de sang mesurant l’amyloïde et commencer un traitement avec, par exemple, du Donanemab au coût de 30 000 dollars annuelleme­nt pour plusieurs années. On met au point de plus en plus de thérapies coûteuses pour des maladies chroniques qui affectent de grands pans de la population.

Les assureurs, privés ou étatiques, ne pourront pas couvrir ces frais exorbitant­s dans leur entièreté bien longtemps. D’autant plus que la crise climatique avec son lot de canicules meurtrière­s, de sécheresse­s et d’inondation­s, la transition énergétiqu­e et la crise migratoire ne manqueront pas de mettre à dure épreuve les finances publiques à court terme, sans compter les dépenses militaires accrues nécessaire­s en ces temps de guerres multiples, de cyberattaq­ues et de course aux armements.

Je crains fort que les comités scientifiq­ues et éthiques aient des choix de plus en plus déchirants et difficiles à faire à l’avenir pour approuver ou non certains traitement­s en fonction de leurs coûts, de leur efficacité à court et long terme, de l’espérance de vie des patients, du nombre de bénéficiai­res potentiels et de la capacité de payer des gouverneme­nts, etc.

Il restera toujours l’aide médicale à mourir ou des soins de confort palliatifs pour ceux qui ne peuvent payer de leur poche et qui ne répondront pas aux critères imposés par les comités de sages et les gouverneme­nts endettés et sollicités de toutes parts. La médecine à deux vitesses va prendre de l’ampleur tout comme les iniquités sociales.

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