Le Devoir

L’entreprene­uriat noir se fait une place au Canada français

- JEAN-LOUIS BORDELEAU INITIATIVE DE JOURNALISM­E LOCAL À GATINEAU LE DEVOIR Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalism­e local, financée par le gouverneme­nt du Canada.

La communauté noire de Gatineau vitelle un moment fort ? Un momentum, diront certains ? La première candidate déclarée à la mairie de la ville, Olive Kamanyana, en est issue. Politique mise à part, l’économie de la grande région de la capitale fédérale surfe aussi sur une nouvelle vague d’entreprene­urs afrodescen­dants, qui n’ont pas peur de traverser les frontières.

La conseillèr­e municipale gatinoise Bettyna Bélizaire ne souhaite pas se prononcer sur les ambitions de sa collègue. « J’espère juste que ce n’est pas un moment, une mode. J’ai hâte qu’on n’ait pas à en parler [de la candidatur­e d’un membre de la communauté noire à la mairie], parce que leur place est normale », indique-t-elle toutefois en entrevue au Devoir.

Après Toronto et Montréal, la grande région d’Ottawa-Gatineau héberge la plus grosse communauté afrodescen­dante du Canada. Elle est aussi celle qui grandit le plus vite : elle est passée de 78 225 à 114 225 personnes entre 2016 et 2021, selon Statistiqu­e Canada. Et cette croissance de 46 % en cinq ans est plutôt de 745 % si l’on remonte 20 ans en arrière.

Tout comme Bettyna Bélizaire, le Gatinois d’origine Luc Thermonvil a vu la population se transforme­r autour de lui. « Avant, on était fonctionna­ires. Maintenant, la nouvelle génération est faite d’entreprene­urs », retrace le fondateur de l’Ottawa Black Business Alliance. Son incubateur accompagne tous ceux qui désirent se lancer dans les affaires, tant à Ottawa qu’à Gatineau. Et les demandes s’accumulent, note-t-il. « Du côté d’Ottawa, on est à 400 [accompagne­ments]. On a ouvert un bureau il y a deux ans à Gatineau et on accompagne déjà 140 entreprene­urs noirs. »

Nul doute, « il y a un momentum ». Toutes ces initiative­s se retrouvent depuis trois ans dans une grande foire. Cette année, ce salon de l’entreprene­uriat noir se tiendra pour la première fois au Centre Shaw, le plus gros centre des congrès de la capitale fédérale.

Les affaires en noir ne sont plus l’apanage des barbiers ou des restaurant­s d’auparavant. Les immigrants de deuxième ou troisième génération bâtissent des firmes de génie-conseil, des cabinets d’avocats, des salles de spectacle. Des réfugiés fondent des entreprise­s, rapporte Bettyna Bélizaire. « On compte 1,5 million de personnes noires au Canada. C’est énorme comme poids. C’est énorme en compétence­s. »

À la conquête du Canada… français

Dans ses bureaux d’Ottawa, Catia Céméus gère des événements d’envergure pour les deux côtés de la frontière. Sa « niche », c’est le français. « Dès le début, on a décidé d’y aller en français. » Si la peau compte parfois, la langue aussi. « On a souvent eu l’idée que les affaires se faisaient en anglais. Ça peut se faire en français. »

L’entreprene­ure profite comme d’autres de la position de la ville pour ouvrir ses marchés dans le reste du Canada. Pas moins de 28 % de tous les Afro-Canadiens parlent français à la maison, comparativ­ement à 23 % pour la population totale du pays. « Il y a de la place pour tout le monde. Il suffit d’avoir le bon modèle d’affaires. »

L’accès au financemen­t reste tout de même compliqué. Beaucoup d’immigrants jonglent mal avec le crédit lors de leur arrivée au Canada, et certaines maladresse­s gâchent des entreprise­s longtemps après la bévue, observe d’ailleurs Luc Thermonvil. Il dit négocier présenteme­nt avec des banques pour les sensibilis­er à ces erreurs de nouveaux arrivants.

Son équipe lancera ce mois-ci une trousse en ligne pour cataloguer les ressources d’aide au démarrage, car la communauté le réclame. « Ça a pris du temps, mais maintenant, c’est l’explosion. »

Il y va de trois conseils pour les futurs entreprene­urs : « Reste loin de la police. Paie tes taxes. Garde une bonne cote de crédit. Après, sky is the limit.»

 ?? JEAN-LOUIS BORDELEAU LE DEVOIR ?? Catia Céméus est la propriétai­re de l’entreprise de production et de conception d’événements Kimdja, basée à Ottawa.
JEAN-LOUIS BORDELEAU LE DEVOIR Catia Céméus est la propriétai­re de l’entreprise de production et de conception d’événements Kimdja, basée à Ottawa.

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