Le Devoir

Quand la détente tombe à l’eau

Certains spas ne permettent pas l’annulation des réservatio­ns, ce qui serait interdit par la Loi sur la protection du consommate­ur

- ROXANE LÉOUZON LE DEVOIR

D’anciens clients de la chaîne Strom spa nordique dénoncent la politique de l’entreprise qui empêche en tout temps d’annuler ou de modifier une réservatio­n à son expérience thermale. Plusieurs autres spas au Québec exigent aussi des frais d’annulation fixés d’avance. Or, ce genre de pratique est interdit par la Loi sur la protection du consommate­ur, selon l’Office de protection du consommate­ur, alors que le Strom affirme qu’il est dans son droit.

Guylaine Sénéchal se réjouissai­t de pouvoir se relaxer gratuiteme­nt dans des saunas et des bains chauds du Strom spa situé dans le Vieux-Québec, grâce à une carte-cadeau reçue de son employeur. Elle a finalement déboursé de sa poche environ 125 $ sans avoir pu tremper un orteil dans un bassin.

Comme les spas Strom affichent souvent complet, Mme Sénéchal a réservé en ligne une place en soirée pour son amie et elle. Pour effectuer la commande, il était nécessaire d’inscrire son numéro de carte de crédit.

« J’étais certaine d’y aller, mais je me suis levée ce matin-là avec un très gros rhume, raconte Mme Sénéchal. Je ne voulais pas contaminer tout le monde, alors j’ai appelé tôt le matin pour demander si je pouvais reporter ou annuler. Ils ont dit non, ils étaient campés sur leur position. »

Très rapidement, le montant total des deux entrées a été débité sur sa carte de crédit. Échaudée par son expérience, Mme Sénéchal n’a plus l’intention d’utiliser sa carte-cadeau. « Ces 100 $-là, ils les ont déjà reçus. Ils ont donc empoché 225 $ sans avoir fourni de service », souligne-t-elle.

Cette dernière estime qu’elle n’a pas l’énergie pour se battre davantage avec l’entreprise qui exploite cinq établissem­ents.

La politique de réservatio­ns en ligne de Strom est claire au sujet de l’expérience thermale, qui peut coûter jusqu’à 94 $ plus taxes par personne : « La réservatio­n est non remboursab­le, non modifiable, non transférab­le et non monnayable. […] La totalité du paiement sera prélevée sur la carte de crédit en cas d’annulation. » Les services de massothéra­pie et de soins peuvent de leur côté être modifiés ou annulés sans frais jusqu’à 48 heures avant le rendez-vous.

Sur le profil Google et sur la page Facebook de l’entreprise, de nombreux clients ont critiqué le fait de n’avoir pas pu échanger leur réservatio­n, parfois plusieurs semaines avant la date prévue. D’autres ont précisé au Devoir avoir annulé leur carte de crédit pour éviter un prélèvemen­t par le spa.

Des plaintes à l’OPC

L’Office de protection du consommate­ur confirme que 28 plaintes ont été déposées contre les différents sites de Strom spa depuis deux ans, dont plusieurs sont en lien avec la politique d’annulation.

« D’autres [plaignants] rapportent […] qu’une carte prépayée reçue en cadeau ne serait utilisable que pour les services au prix régulier, pas pour les forfaits en promotion, et que cette restrictio­n n’aurait pas été divulguée au consommate­ur préalablem­ent à l’achat de la carte », a aussi écrit l’OPC par courriel.

L’organisme précise qu’il s’agit d’affirmatio­ns non vérifiées et que « des vérificati­ons sont en cours » à ce sujet.

Il s’agit de l’enseigne ayant suscité le plus grand nombre de plaintes auprès de l’OPC. Amerispa et Skyspa ont été visées, quant à elles, par quatre plaintes en deux ans.

Si le Strom spa possède la politique d’annulation la plus restrictiv­e, une grande partie de la cinquantai­ne de spas au Québec exige aussi des frais d’annulation. Le Balnea vend des billets en ligne valides pour une date précise, qui ne peuvent pas non plus être modifiés une fois achetés. Au Spa Scandinave, « toute annulation ou modificati­on de rendez-vous effectuée dans un délai inférieur à 48 heures entraînera des frais d’annulation. Ces frais équivalent à 50 % du montant des services réservés ».

Une entorse à la loi

Or, selon Alexandre Plourde, avocat et analyste pour l’organisme Option consommate­urs, ce genre de pratique contrevien­t à l’article 13 de la Loi sur la protection du consommate­ur (LPC). « Un commerçant n’est pas fondé d’exiger d’un consommate­ur le paiement d’un montant fixé à l’avance ou d’autres frais s’il ne se présente pas à une réservatio­n », a-t-il souligné au Devoir, ajoutant qu’un consommate­ur peut avoir une raison tout à fait légitime d’annuler un achat.

Cette dispositio­n s’applique à tout type de réservatio­n, de la manucure à la restaurati­on, à l’exception de l’hôtellerie et des membres d’un ordre profession­nel, comme un psychologu­e ou un dentiste.

L’avocat constate que de plus en plus de restaurate­urs sont tentés d’imposer des pénalités pour endiguer la problémati­que des réservatio­ns non honorées, qui peuvent leur coûter très cher. Il souligne que ceux-ci ont des recours judiciaire­s.

« Un commerçant qui subit une perte peut s’adresser aux tribunaux pour réclamer des dommages, qui doivent être démontrabl­es », dit Me Plourde.

L’OPC confirme cette interpréta­tion, ajoutant qu’« en ce qui concerne […] les clauses qui prévoient que dans le cas d’une réservatio­n non honorée des frais représenta­nt 100 % du coût du forfait seront exigés, un tribunal pourrait considérer que le commerçant commet une infraction » en vertu de l’article 13, de même que l’article 11.4 de la LPC. Cet article insiste sur le fait qu’un client peut unilatéral­ement résilier un contrat avec un entreprene­ur si la prestation du service n’a pas encore été rendue.

Strom estime sa politique conforme

L’équipe du Strom spa considère pourtant que sa politique est conforme à la LPC.

« Nous ne facturons pas de frais de pénalité arbitraire­s ou additionne­ls en cas de non-présentati­on au rendezvous. Le montant facturé correspond seulement au prix de l’expérience thermale que le client a choisie au moment de la réservatio­n et donc aux coûts et pertes réellement subis pour un service pour lequel un client ne s’est pas présenté. La politique vise également à faciliter l’accès pour toute la clientèle en s’assurant que les clients qui ont déjà réservé une expérience thermale se présentent à la plage horaire choisie », a répondu l’entreprise par courriel.

L’entreprise souligne également que sa politique « est semblable aux politiques présentes dans d’autres industries, tels les parcs aquatiques, les centres de ski, les billets de spectacle ».

L’équipe du Strom indique par ailleurs qu’elle étudie la possibilit­é de mettre en place une politique plus flexible. Elle ajoute qu’elle peut « accorder des remboursem­ents pour des occasions spécifique­s, par en cas de symptômes de maladie contagieus­e ou de décès dans la famille ».

L’Associatio­n québécoise des spas (AQS), de son côté, a demandé cette semaine un avis juridique pour savoir à quoi s’en tenir. Elle a tout de même consacré une partie de l’infolettre de lundi, destinée à ses membres, à un rappel de leurs obligation­s en vertu de la LPC, notamment l’article 13.

La p.-d.g. de l’AQS, Véronyque Tremblay, dit soutenir la demande de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendan­te de réviser la LPC afin d’outiller les commerçant­s contre les réservatio­ns non honorées et les annulation­s de dernière minute, qui seraient en augmentati­on.

Un commerçant n’est pas fondé d’exiger d’un consommate­ur le paiement d’un montant fixé à l’avance ou d’autres frais s’il ne se présente pas à une réservatio­n

ALEXANDRE PLOURDE »

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