Le mendiant
Le gouvernement Legault n’aurait pas grand mal à remporter un référendum sur le rapatriement des pouvoirs en matière d’immigration, à en croire un sondage Léger effectué au début de mars, qui crédite le « oui » de 42 % des intentions de vote, contre 28 % en faveur du « non », avec 29 % d’indécis.
La question demeure largement théorique, puisque M. Legault a clairement indiqué son peu d’intérêt pour une telle consultation, même s’il ne l’avait pas exclue lors de la dernière campagne électorale. En réalité, il ne l’a sans doute jamais envisagée sérieusement.
Il sait très bien que si le « mandat fort » qu’il a réclamé et obtenu en 2022 n’a pas suffi à faire fléchir le gouvernement Trudeau, un référendum n’y parviendra pas davantage. En revanche, il lui faudrait alors réagir beaucoup plus fermement à une fin de non-recevoir d’Ottawa qu’il ne le fait présentement.
C’est précisément la raison pour laquelle Paul St-Pierre Plamondon réclame un référendum. Si Jacques Parizeau avait fini par appuyer l’accord du lac Meech, après l’avoir ridiculisé, c’est parce qu’il faisait le pari de son rejet par le Canada anglais.
Qu’Ottawa accepte aujourd’hui de céder au Québec des pouvoirs additionnels en immigration serait un dur coup pour le Parti québécois, comme le succès de Meech en aurait été un à l’époque, mais M. St-Pierre Plamondon fait aussi le pari que Justin Trudeau dira non.
Dans leur livre intitulé À la conquête du pouvoir, qui retrace la genèse de la « troisième voie », Pascal Mailhot et Éric Montigny font revivre la dramatique rupture de 1992 entre le Parti libéral du Québec et les jeunes libéraux menés par Jean Allaire, qui allaient ensuite fonder l’Action démocratique du Québec (ADQ).
Dans l’atmosphère tendue du PEPS de l’Université Laval, où 2500 militants étaient réunis, M. Allaire avait déclaré que l’offre faite au Québec dans l’entente de Charlottetown était inacceptable, puisqu’elle le plaçait dans une position de « mendiant de pouvoirs temporaires », dans la mesure où ils lui seraient transférés par de simples ententes administratives qui pourraient éventuellement être révoquées.
En réalité, c’est toujours la position dans laquelle le « nouveau projet » nationaliste de la Coalition avenir Québec (CAQ) placerait le Québec. Lors de sa rencontre de vendredi avec son vis-à-vis fédéral, M. Legault va de nouveau quémander, alors qu’on lui claque la porte au nez depuis des années.
Si le désir de se débarrasser des libéraux constituait la principale raison de la victoire caquiste de 2018, l’offre d’une « troisième voie », qui évitait d’avoir à choisir entre un fédéralisme irréformable et les risques de l’indépendance, y a sans doute contribué.
Dans la quête incessante de nouveaux pouvoirs qui permettraient au Québec de faire ses propres choix, ou même simplement de préserver les acquis, force est toutefois de constater que l’approche « progressive » proposée par la CAQ n’a pas eu plus de succès que les « grandes manoeuvres » du passé.
Avoir réussi à inscrire dans sa Constitution interne que le Québec constitue une nation dont le français est la langue commune a sans doute une valeur symbolique non négligeable et l’adoption d’une loi sur laïcité est indéniablement un geste d’affirmation qui a indisposé profondément le Canada anglais.
Plus concrètement, M. Legault est cependant le premier à reconnaître que la pleine maîtrise de son immigration est une question existentielle pour le Québec et que les objectifs du Canada sont incompatibles avec les siens.
On le comprend d’hésiter à rouvrir l’entente signée avec Ottawa en 1991, qui demeure avantageuse pour le Québec. Conclue moins d’un an après l’échec de l’accord du lac Meech, elle se voulait une sorte de prix de consolation offert par Brian Mulroney. Un autre consentira peutêtre un jour à la bonifier, mais M. Trudeau n’est manifestement pas dans ces dispositions.
De toute manière, elle ne concerne pas l’immigration temporaire, qui constitue aujourd’hui la plus grande préoccupation. M. Trudeau aura beau jeu de souligner à son vis-à-vis québécois qu’il n’utilise même pas les pouvoirs dont il dispose déjà pour limiter l’appétit des entreprises en manque de main-d’oeuvre.
Il est incontestable que le Québec a fait plus que sa part pour accueillir les demandeurs d’asile au cours des dernières années et qu’il a droit à une compensation, d’autant plus que sa situation financière s’est nettement détériorée depuis.
Comme toujours quand une réclamation est adressée à Ottawa, le montant de cette compensation sera l’objet d’âpres négociations. Qu’il soit justifié ou non, le chiffre d’un milliard avancé par le gouvernement — la même somme que la CAQ prétendait jadis récupérer des médecins spécialistes — est de nature à frapper les esprits, mais il ne faut pas perdre l’essentiel de vue.
Certes, Ottawa doit verser une compensation équitable, mais M. Legault donne souvent l’impression de ramener la question constitutionnelle à l’argent qu’il est possible de soutirer à Ottawa, grâce à la péréquation ou autrement. Il est difficile de concilier cette attitude de mendiant avec cette « fierté » que prétendait rétablir la CAQ.