Pour manger durable, la crevette de Matane est à éviter
L’espèce a subi une chute « spectaculaire » et sa pêche n’est plus durable dans le Saint-Laurent, note la Fourchette bleue
Les consommateurs qui souhaitent opter pour les produits de la mer durables doivent éviter la crevette nordique, soit la fameuse crevette de Matane. C’est une des recommandations de la nouvelle liste Fourchette bleue, qui publie chaque année un guide des espèces marines du Saint-Laurent à consommer dans l’objectif d’éviter les pêches dommageables pour la protection de la biodiversité.
La Fourchette bleue a publié lundi sa 15e liste des espèces marines « issues des pêches durables du Saint-Laurent » et pour la première fois, la crevette nordique a été exclue, à l’instar du flétan du Groenland, puisque ces deux espèces « connaissent une décroissance spectaculaire de leur biomasse ».
« On constatait déjà depuis quelques années le déclin de la crevette nordique, mais cette année, il est devenu évident que la décroissance s’étend à toutes les zones de pêche », résume Sandra Gauthier, la directrice générale d’Exploramer, qui pilote cette initiative s’appuyant sur des consultations scientifiques et auprès de l’industrie de la pêche.
Réchauffement et prédation
La situation de la crevette nordique, qu’on surnomme aussi la crevette de Matane, soulève de vives inquiétudes depuis plusieurs années chez les scientifiques fédéraux qui suivent la situation de l’espèce de près, en raison d’une baisse constante des stocks dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent.
Les constats des chercheurs sont d’ailleurs sans équivoque : « Le réchauffement des eaux profondes et l’augmentation de la prédation par les sébastes semblent être des facteurs importants contribuant au déclin de la crevette. Ces conditions écosystémiques ne devraient pas s’améliorer à court et moyen terme », peut-on lire dans l’évaluation fédérale de la situation.
Pour tenter de freiner le déclin, le gouvernement Trudeau a annoncé une baisse abrupte des quotas de crevette pour 2024. Celui-ci atteint un peu plus de 3000 tonnes, un chiffre environ cinq fois moins élevé qu’en 2023. Le fédéral a également annoncé la levée du moratoire en vigueur depuis 1995 sur la pêche au sébaste, dont les stocks ont connu une forte croissance au cours des dernières années.
Le sébaste figure d’ailleurs sur la liste Fourchette bleue pour 2024, qui compte 13 espèces de poissons, 15 fruits de mer (mollusques et crustacés), 2 mammifères marins et 15 variétés d’algues. Sandra Gauthier rappelle du même souffle que l’« écoguide » valorise les produits marins du Saint-Laurent « sous-exploités et méconnus du grand public ». C’est le cas de la baudroie d’Amérique, du chaboisseau, de l’hémitriptère atlantique, du merlu argenté, du crabe commun, de l’oursin vert, du pétoncle géant et du calmar à courtes nageoires.
Manger du phoque
En ce qui a trait aux deux mammifères marins inscrits sur la liste, il s’agit du phoque du Groenland et du phoque gris. Le ministère fédéral Pêches et Océans
Canada évalue la population de phoques du Groenland à plus de 7,6 millions d’individus dans l’est du Canada. Les « niveaux de récolte durables » sont estimés à 425 000 bêtes par année.
Et on compterait plus de 360 000 phoques gris dans l’est du pays, notamment dans le golfe du Saint-Laurent. Or, ces bêtes, qui peuvent peser jusqu’à 270 kilogrammes (600 livres) à l’âge adulte, sont en partie responsables du déclin d’au moins dix espèces de poissons, dont la morue franche, les plies canadienne et grise, la limande à queue jaune, la merluche blanche et la raie tachetée.
« Dans ce contexte, la chasse au phoque menée de façon responsable et durable et la consommation de cette viande pourraient aider à réguler la population de ce mammifère et à réduire l’impact de sa prédation sur plusieurs stocks fragilisés. Cette viande sauvage, sans hormones et sans antibiotiques, est riche en protéines, en fer et en oméga-3 », résume Sandra Gauthier.
Même si des groupes animalistes militent contre cette chasse depuis des décennies, l’intérêt pour la viande de phoque est de plus en plus grand, ajoute-t-elle. Des dizaines de restaurateurs et d’épiciers seraient prêts à commercialiser des produits du phoque. Mme Gauthier plaide donc pour un développement de cette filière, qui passerait par l’octroi de permis permettant la transformation du phoque dans des usines qui traitent des produits de la pêche commerciale une partie de l’année.
Sensibilisation
Quinze ans après le démarrage de l’initiative de la Fourchette bleue, Sandra Gauthier dit par ailleurs constater des répercussions positives de cet « écoguide ».
« J’ai envie de croire que c’est un peu grâce à la Fourchette bleue si le Québec porte maintenant une attention plus particulière à ses produits marins. La population s’informe davantage des espèces qui sont issues du Saint-Laurent, des techniques de pêche, de l’état des stocks, de la valeur nutritive et gastronomique », fait-elle valoir.
Beaucoup trop de nos poissons et fruits de mer, considérés comme des produits de très haute qualité, partent vers l’étranger, alors que nos épiceries nous vendent des produits importés d’Asie ou d’Amérique du Sud, souligne Mme Gauthier.
Une simple visite dans un supermarché à grande surface permet de constater qu’on y vend principalement des espèces importées, par exemple des crevettes d’Argentine ou « du Pacifique », du saumon « du Pacifique », ou encore du tilapia ou du pangasius « d’élevage ». Ce dernier provient essentiellement de fermes aquacoles du Vietnam aux pratiques très critiquées.
L’idée est donc que si les consommateurs québécois se tournent vers les produits d’ici qui sont pêchés de manière durable, ils ne contribueront pas à la surpêche, à la dégradation des écosystèmes marins ou à l’esclavage en mer qui existe dans certaines régions du monde. Cette consommation locale permet aussi de réduire notre effet sur le climat.
On constatait déjà depuis quelques années le déclin de la crevette nordique, mais cette année, il est devenu évident que la décroissance s’étend à toutes l es zones de pêche
SANDRA GAUTHIER »