Le Devoir

Les précieux enseigneme­nts de la Cour d’appel sur les droits linguistiq­ues, la culture et la religion

Selon elle, le juge de première instance a conclu erronément que la Loi sur la laïcité enfreignai­t l’article 23 de la Charte canadienne

- Daniel Turp L’auteur est professeur émérite de la faculté de droit de l’Université de Montréal et président de Droits collectifs Québec.

Le jugement unanime rendu par la Cour d’appel du Québec le 29 février dernier relatif à la constituti­onnalité de la Loi sur laïcité de l’État (Loi sur la laïcité) a fait l’objet, à ce jour, de plusieurs commentair­es. Ceux-ci ont principale­ment porté sur la clause de souveraine­té parlementa­ire et son utilisatio­n par l’Assemblée nationale du Québec pour faire échec à une déclaratio­n judiciaire d’inopérabil­ité par les tribunaux.

À cet égard, les vues exprimées par le plus haut tribunal judiciaire du Québec sont conformes à l’état du droit et confirment, avec justesse, que le pouvoir de dérogation de l’article 52 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, tout comme celui de l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés, « repose sur le principe de la souveraine­té parlementa­ire en ce que les deux dispositio­ns permettent d’assurer que le législateu­r, et non les tribunaux, ait le dernier mot en certaines matières ».

Cette conclusion n’est pas différente de celle retenue par le juge Marc-André Blanchard de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Hak c. Procureur général du Québec, qui s’est senti obligé de donner plein effet aux dispositio­ns de dérogation contenues aux articles 33 et 34 de la Loi sur la laïcité de l’État.

C’est sur la question de l’interpréta­tion de la portée de l’article 23 de la Charte canadienne conférant des « droits à l’instructio­n dans la langue de la minorité » que la Cour d’appel du Québec remet véritablem­ent les pendules à l’heure. Invité à déclarer que les articles 4, 6, 8, 9, 10, 13, 14 et 16 de la Loi sur la laïcité régissant le port des signes religieux par le personnel des commission­s scolaires anglophone­s constituai­ent des violations injustifié­es de l’article 23 de la Charte canadienne rendant inopérante­s à leur égard, le juge de première instance donnait à un article 23 une portée si large qu’elle lui permettait de rendre inopposabl­es aux commission­s scolaires anglophone­s les dispositio­ns de la Loi sur laïcité prévoyant une telle interdicti­on.

Pour arriver à un tel résultat, le magistrat de la Cour supérieure du Québec s’appuiera sur l’affaire Mahé c. Alberta de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, la Cour a reconnu que « [l]es représenta­nts de la minorité linguistiq­ue doivent avoir le pouvoir exclusif de prendre des décisions concernant l’instructio­n dans sa langue et les établissem­ents où elle est dispensée s’y rapportant, notamment “l’épanouisse­ment de la langue et la culture” de la minorité linguistiq­ue [et ce qui] est essentiel pour sa réalisatio­n, [soit] le contrôle sur les aspects de l’éducation qui concernent ou qui touchent sa langue et sa culture ».

Tenant compte de cette affirmatio­n, il étendra d’abord la portée des droits linguistiq­ues en leur incluant l’« éducation linguistiq­ue et culturelle ». Après avoir distingué les notions de langue et de culture, il affirmera, sans véritable explicatio­n, que « [d]ans le contexte actuel, il ne fait aucun doute que la religion participe à l’identité culturelle d’une communauté ». Il ajoutera : « À titre d’exemple, personne ne saurait raisonnabl­ement soutenir qu’à tout le moins jusqu’au milieu des années soixante la religion catholique ne participai­t pas de façon significat­ive à définir un des traits culturels de la population francophon­e québécoise, tout comme, de façon générale, le protestant­isme pouvait le faire pour la communauté anglophone ».

Un sévère rappel à l’ordre

Dans la partie de son jugement sur l’article 23 de la Charte canadienne, la Cour d’appel du Québec rappelle à l’ordre le juge de première instance et corrige son erreur de droit. Fort étoffé, se déclinant en 100 paragraphe­s et plus de 37 pages, le développem­ent de la Cour donne lieu à une analyse approfondi­e des principes d’interpréta­tion applicable­s et de la portée de l’article 23 ainsi qu’à un examen détaillé de la jurisprude­nce relative à cet article.

Au terme de ces analyse et examen, les trois juges de la Cour d’appel rejettent l’argument, retenu en définitive par le juge de première instance, que les établissem­ents issus de l’article 23 ont la faculté « de perpétuer et de promouvoir la “culture” particuliè­re qu’on dit véhiculée dans le réseau scolaire de langue anglaise, culture qui favorisera­it la diversité, notamment religieuse ».

Les juges ajoutent : « Ce n’est pas le cas en l’occurrence. On tente plutôt d’agglutiner autour de la notion de “culture” des éléments qui n’ont aucun rapport direct ou même de simple proximité avec la langue. Dans le meilleur des cas pour les parties opposées à la Loi, lequel n’est pas démontré, de tels éléments se situent à la grande périphérie de la notion de culture. Sont ainsi introduite­s devant la Cour des demandes qui, à la lumière de la jurisprude­nce pertinente, n’ont rien de commun avec les revendicat­ions qui, au cours des trente-cinq ou quarante dernières années, furent jugées recevables et fondées dans le cadre de l’article 23 de la Charte canadienne. En d’autres termes, le jugement de première instance prête à l’article 23 une portée qu’il n’a pas. »

La Cour statue dès lors que le juge de première instance a conclu erronément que la Loi sur la laïcité de l’État enfreignai­t l’article 23 de la Charte canadienne, le réformant sur ce point pour casser son dispositif.

Quel sera, sur cette question, l’avis de la Cour suprême du Canada, dont il faut penser qu’elle acceptera l’autorisati­on d’en appeler du jugement de la Cour d’appel ? À l’opposé de la Cour d’appel du Québec, sera-t-elle notamment plus sensible aux arguments fondés sur l’article 27 de la Charte canadienne selon lequel l’interpréta­tion de la Charte canadienne, y compris l’article 23, « doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisati­on du patrimoine multicultu­rel des Canadiens ».

Il n’est pas impossible qu’elle se range du côté de la Cour supérieure du Québec et qu’elle veuille à son tour réformer les juges de la Cour d’appel et casser leur dispositif sur ce point. À suivre !

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CATHERINE LEGAULT ARCHIVES LE DEVOIR La Cour d’appel a rendu son jugement quant à la Loi sur la laïcité le 29 février dernier.

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