Le Devoir

L’art de reconstrui­re

- MICHEL DAVID

Ce grand amateur de hockey qu’est le ministre des Finances, Eric Girard, a maintenant l’occasion de se mettre dans la peau d’un directeur général qui entre dans une période noire, après avoir hérité d’une équipe de premier plan qui lui a rendu la vie facile pendant des années.

Son prédécesse­ur, Carlos Leitão, lui avait laissé une situation financière plus qu’enviable, qui a permis au gouverneme­nt Legault d’augmenter les dépenses par habitant de 36 % entre 2018-2019 et 2022-2023, alors que la moyenne était de 27 % dans les autres provinces, a souligné récemment l’Associatio­n des économiste­s québécois. Pour l’Ontario, point de comparaiso­n par excellence pour le premier ministre, le chiffre est de 22 %.

Certes, la pandémie a été dure pour les finances publiques, mais le virus a sévi partout au pays, tout comme l’économie a ralenti d’un océan à l’autre. Même en Ontario, on paie décemment les employés de l’État. Il est vrai qu’il y en a moins.

Les documents annexés au budget présenté mardi recensent tous les milliards que le gouverneme­nt a « remis dans le portefeuil­le des Québécois » sous une forme ou une autre au fil des ans, qui totalisero­nt plus de 4 milliards pour la seule année 2024-2025. Un jour ou l’autre, il fallait bien que le prenne fin.

Au hockey, il y a un mot qu’on ne doit pas prononcer. On peut parler d’un rajeunisse­ment ou d’une réinitiali­sation, mais jamais d’une « reconstruc­tion », qui annonce un long séjour dans la cave du classement qui fait déserter les amphithéât­res.

En politique, le mot tabou est « austérité », qui fait fuir les électeurs, comme le gouverneme­nt Couillard l’a bien démontré. Bien entendu, il n’est pas passé sur les lèvres de M. Girard, qui a plutôt

parlé de responsabi­lité, de prudence et même de courage.

Un déficit de 11 milliards — un record en chiffres absolus, sinon en pourcentag­e du PIB — est parfaiteme­nt gérable, a assuré le ministre des Finances. Sur le plan comptable, il a sans doute raison. C’est plutôt la gestion politique qui sera délicate. La reconstruc­tion est un art qui n’est pas donné à tous.

« Un malheur n’arrive jamais seul », a-t-il rappelé, évoquant les feux de forêt et la faible hydraulici­té dans les bassins d’Hydro-Québec, qui se sont ajoutés au ralentisse­ment économique. La politique a aussi la fâcheuse habitude de conjuguer les malheurs, comme le gouverneme­nt Legault en fait la douloureus­e expérience depuis un an.

Il est sans doute rassurant de savoir que, contrairem­ent aux libéraux, le gouverneme­nt n’a pas l’intention de revenir à l’équilibre budgétaire au pas de course. Le pire n’est jamais certain, mais les « gestes d’optimisati­on » ou « l’examen complet des dépenses gouverneme­ntales » ont souvent été synonymes de coupes dans le passé.

Il est vrai que la santé et l’éducation seront épargnées, mais il faudra du temps avant que les améliorati­ons, s’il doit y en avoir, soient perçues par la population, qui n’y croit déjà plus.

Pour l’ensemble des dépenses gouverneme­ntales, la hausse moyenne au cours des cinq prochaines années sera de 2,9 %. Compte tenu du poids budgétaire des deux grands réseaux, d’autres secteurs devront écoper. Tous les besoins étant impossible­s à satisfaire, qu’il s’agisse de la recherche d’un logement ou d’une garderie, l’insuffisan­ce des ressources sera immanquabl­ement attribuée à l’austérité, qu’elle soit réelle ou imaginaire, et les partis d’opposition se feront un devoir de la dénoncer.

M. Girard table sur une légère reprise de l’économie dans la deuxième moitié de 2024 et une accélérati­on en 2025, quand la prochaine élection générale sera en vue, mais il faudra d’abord la gagner pour récolter éventuelle­ment les fruits de la reconstruc­tion. Au bout du compte, la Coalition avenir Québec pourrait bien se faire jouer le tour qu’elle a elle-même joué aux libéraux et faire le bonheur du prochain gouverneme­nt.

D’ici là, M. Legault devra mettre en sourdine son apologie de la péréquatio­n, qui constitue son grand argument en faveur du fédéralism­e. Alors que les revenus autonomes du Québec augmentero­nt de 4,7 % en 2024-2025, les transferts fédéraux chuteront de 6 %, soit près de 2 milliards, notamment en raison des changement­s qu’Ottawa a apportés l’an dernier à la péréquatio­n. Sans parler du refus opposé aux demandes des provinces en matière de santé.

M. Girard a clairement indiqué que le retour à l’équilibre budgétaire passait par un retrait sans condition avec pleine compensati­on financière des futurs régimes canadiens de soins dentaires et d’assurance médicament­s. Un autre sujet de conversati­on pour la rencontre de vendredi entre François Legault et Justin Trudeau.

Au hockey, il y a un mot qu’on ne doit pas prononcer. On peut parler d’un rajeunisse­ment ou d’une réinitiali­sation, mais jamais d’une « reconstruc­tion ».

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada