Un déficit record
Eric Girard a déposé un budget où les manques à gagner se creusent jusqu’en 2029
Le ministre des Finances, Eric Girard, a déposé mardi un budget marqué par un déficit record de 11 milliards de dollars, accompagné d’un plan visant à réduire les dépenses de l’État en prévision du dépôt, l’an prochain, d’une nouvelle feuille de route qui pourrait repousser le retour à l’équilibre budgétaire à 2030.
Le manque à gagner inscrit dans le plan financier 2024-2025 du gouvernement dépasse le précédent sommet, 10,7 milliards, atteint en 2020-2021, soit au coeur de la pandémie, a reconnu le ministre lors d’une conférence de presse. « Ça pourrait être le déficit le plus élevé en dollars », a-t-il déclaré, tout en disant espérer une embellie financière qui pourrait estomper son ampleur.
L’an dernier, M. Girard avait prévu un déficit de 3 milliards de dollars
pour 2024-2025 dans le cadre d’un plan de retour à l’équilibre budgétaire qui devait arriver à échéance en 2027-2028.
Le premier ministre François Legault et le ministre Girard avaient prévenu dès janvier que les déficits à venir seraient plus importants que prévu étant donné les hausses salariales accordées aux employés de l’État. Selon les documents budgétaires, une somme supplémentaire de 4 milliards de dollars a été ajoutée aux dépenses du Québec, principalement en raison des conditions bonifiées offertes dans les nouvelles conventions collectives.
« On a fait le choix d’investir dans nos ressources humaines, a dit Eric Girard. C’est très important pour la pérennité du système de santé public, pour notre école publique, que la qualité et l’accessibilité des services s’améliorent. Alors, oui, ça amène un déficit élevé en 2024-2025. »
Les dépenses de l’État seront de 157,8 milliards de dollars cette année, en hausse de 4,4 %, tandis que les revenus seront de 150,3 milliards, en progression de 2,4 %. À lui seul, le secteur de la santé pèse 61,9 milliards dans ce bilan. Les entrées d’argent sont d’ailleurs plus basses que ce qui a d’abord été prévu pour 2024-2025 en raison d’une baisse des revenus fiscaux, des recettes d’Hydro-Québec et des transferts fédéraux.
À ce sujet, M. Girard a rappelé que le Québec réclamait un droit de retrait avec pleine compensation financière des nouveaux programmes fédéraux de soins dentaires et d’assurance médicaments. « Le premier ministre Mulroney est décédé, et je vous rappelle que dans l’accord du lac Meech, il y avait une clause qui limitait le pouvoir de dépenser avec pleine compensation financière dans les champs de juridiction en cause », a-t-il dit.
À quand l’équilibre budgétaire ?
La détérioration du cadre financier du gouvernement va au-delà du budget 2024-2025, et son effet se fait sentir sur l’exercice 2023-2024, qui se terminera à la fin de mars sur un déficit de 6,3 milliards. Le déficit était estimé à 4 milliards de dollars il y a un an. En outre, alors que l’équilibre budgétaire devait être atteint en 2027-2028, un déficit totalisant 4 milliards est désormais prévu pour cet exercice, et l’équivalent pour l’année suivante.
M. Girard a annoncé qu’un nouveau plan de retour au déficit zéro serait déposé dans un an dans la foulée de la refonte de la Loi sur l’équilibre budgétaire conclue en décembre dernier. Cet objectif pourrait être atteint en 2029-2030 « au plus tard ».
Le ministre est resté vague sur le chemin qu’il reste à baliser pour arriver au déficit zéro d’ici là. Dans l’immédiat, il mise sur une reprise de l’économie qui serait favorisée par une baisse des taux d’intérêt durant le deuxième semestre de 2024. « Au budget 2025, je vais connaître la destination », a-t-il dit.
Le plan budgétaire table sur une croissance du produit intérieur brut de 0,6 % cette année et de 1,6 % l’an prochain.
Un premier tour de vis
Le gouvernement a annoncé un premier tour de vis, qui lui servira à réduire ses dépenses de 1 milliard de dollars dans le secteur de l’aide aux entreprises au cours des cinq prochaines années.
Les crédits d’impôt soutenant les emplois du secteur des technologies seront notamment révisés, entre autres dans la filière emblématique des jeux vidéo, mise en place par Bernard Landry, qui avait notamment mené à l’arrivée d’Ubisoft au Québec. L’objectif est de recentrer l’aide fiscale sur les emplois à valeur ajoutée. « On regarde les crédits d’impôt au niveau des entreprises technologiques, qui ont été créés alors que le taux de chômage était à plus de 10 %. Aujourd’hui, le taux de chômage est inférieur à 5 % », a noté M. Girard.
Les sociétés d’État comme HydroQuébec, Loto-Québec, la Société des
alcools du Québec et Investissement Québec seront également sollicitées. L’objectif est encore là d’aller chercher 1 milliard de dollars sur cinq ans. « Chaque entreprise devra faire des efforts d’efficience, soit aux revenus, soit aux dépenses », a prévenu le ministre des Finances. L’essentiel de ces optimisations budgétaires, qui doivent totaliser 2,9 milliards d’ici 2028-2029, sera toutefois appliqué après les élections de 2026.
Parallèlement, une opération plus large pourrait se préparer, car le gouvernement lancera dès ce printemps une importante révision de l’ensemble de ses dépenses. « Il faudra s’assurer de ne pas affecter les services à la population », a affirmé M. Girard.
Le ministre a par ailleurs exclu toute hausse de la taxe de vente du Québec « au cours des prochaines années ».
De l’allégresse dans les dépenses
Le député libéral Frédéric Beauchemin déplore que le gouvernement Legault réduise ses aides aux entreprises sans plus de préparation et juge que le ministre Girard table sur une croissance des revenus trop optimiste. « Ce qu’on observe aujourd’hui, c’est un gouvernement qui est en perte totale de contrôle, qui n’a aucun plan de retour à l’équilibre budgétaire et aucun plan pour relancer l’économie. La [Coalition avenir Québec] dépense sans limites et dépense mal », a-t-il résumé.
Le député solidaire Haroun Bouazzi a pour sa part dénoncé la faiblesse des investissements en logement. « Il n’y a rien pour stimuler la construction des nouvelles habitations et des nouveaux appartements. Ça ne changera rien pour les premiers acheteurs. »
De son côté, le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, a attribué la situation financière dévoilée mardi aux largesses successives du gouvernement Legault, notamment pour les maternelles 4 ans, les maisons des aînés et les baisses d’impôts. « On est allé avec beaucoup d’allégresse dans les dépenses », a-t-il dit.
Le chef conservateur Éric Duhaime a quant à lui accusé le gouvernement caquiste d’incompétence.