Une nouvelle enquête sur ArriveCAN est lancée
Près d’une dizaine d’enquêtes actives ou terminées visent le scandale lié à l’application fédérale
Le scandale entourant l’application ArriveCAN, qui a monopolisé l’attention politique à Ottawa le mois dernier, est loin d’être terminé. Le fiasco financier fait l’objet d’une énième enquête, cette fois de la commissaire à l’intégrité du secteur public, qui investiguera sur des mesures de représailles qui auraient été prises à l’encontre de deux fonctionnaires suspendus dans la foulée. Voici ce qu’il faut savoir sur le scandale et ses derniers développements. Pourquoi y a-t-il scandale ?
Le 12 février, la vérificatrice générale du Canada, Karen Hogan, a publié un rapport choc révélant que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) avait mené son propre processus d’approvisionnement pour commander ArriveCAN, une application mobile qui visait à faciliter l’entrée des voyageurs au pays pendant la pandémie.
La vérificatrice a constaté que le recours du gouvernement à des soustraitants externes exclusifs pour son développement avait fait grimper les coûts de l’application et que ces coûts n’étaient pas correctement suivis.
« C’est probablement l’une des pires tenues de registres financiers que j’ai jamais vues », a-t-elle alors déclaré.
L’application de base a été payée 80 000 $ en avril 2020. Au moins 59,5 millions de dollars se sont ajoutés à la facture pour 177 mises à jour, a estimé Mme Hogan.
De surcroît, l’ASFC n’a pas gardé de documentation sur l’octroi d’un contrat sans appel d’offres à GC Strategies, la principale entreprise à avoir bénéficié des irrégularités entourant l’application ArriveCAN.
Combien d’enquêtes sont en cours ?
Près d’une dizaine d’enquêtes sur le dossier ArriveCAN sont en cours ou ont été réalisées, selon un décompte du Devoir.
La commissaire à l’intégrité du secteur public, Harriet Solloway, est la dernière à avoir lancé son enquête. Elle examinera « plusieurs allégations d’actes répréhensibles », a confirmé son commissariat au Devoir mardi.
« Nous pouvons confirmer que des plaintes […] ont été déposées auprès du Commissariat par M. Cameron MacDonald et M. Antonio Utano concernant des mesures de représailles présumées prises à l’encontre de ces derniers après leurs témoignages », a-t-il indiqué par courriel.
En novembre dernier, ces deux anciens responsables de l’ASFC ont déclaré que l’ancien vice-président de l’agence Minh Doan avait menti au comité parlementaire en disant ne pas savoir qui, au sein de l’organisation, avait choisi GC Strategies pour travailler sur l’application.
Ils ont aussi affirmé que M. Doan avait supprimé « des dizaines de milliers » de courriels. Ce dernier a nié ces allégations.
Le mois dernier, la commissaire à l’information du Canada, Caroline Maynard, a aussi annoncé l’ouverture d’une enquête, celle-là sur la destruction de documents visés par des demandes d’accès à l’information dans l’affaire ArriveCAN.
Des enquêtes de l’ASFC, du comité parlementaire des opérations gouvernementales et du comité des comptes publics ont aussi été lancées. La Gendarmerie royale du Canada mène aussi la sienne sur l’affaire.
Un mois avant le dépôt du rapport de la vérificatrice générale, le Bureau de l’ombudsman de l’approvisionnement révélait que dans environ 76 % des contrats associés à ArriveCAN, « une partie ou la totalité des ressources proposées par le fournisseur retenu n’ont effectué aucun travail dans le cadre du contrat ».
Comment le gouvernement s’estil défendu ?
Peu après la publication du rapport de la vérificatrice générale, les libéraux ont refusé de prendre la responsabilité du développement coûteux d’ArriveCAN, pointant plutôt du doigt l’ASFC.
Le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, a affirmé avoir « une pleine confiance » en la présidente de l’agence et en la capacité de l’organisation à prendre « toutes les mesures correctives appropriées pour que les fonds publics soient dépensés avec diligence ».
Pour sa part, la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, qui était ministre de l’Approvisionnement à l’époque, a affirmé ne pas avoir eu de contrat sous les yeux.
Questionné à ce sujet le mois dernier, le premier ministre Justin Trudeau a admis que les règles contractuelles n’avaient pas été respectées lors du développement de l’application. Il a précisé qu’il y aurait des conséquences pour les fonctionnaires qui n’ont pas respecté les règles.
Qu’arrive-t-il aux compagnies ayant travaillé sur l’application ?
Ottawa a modifié le statut de GC Strategies, qui, selon la vérificatrice générale, a reçu plus de 19 millions de dollars pour le projet, de façon à empêcher l’entreprise de soumissionner à des contrats gouvernementaux comportant des exigences de sécurité et de travailler sur ceux-ci.
Le gouvernement a également interdit à deux autres entreprises qui ont contribué au projet, Dalian Enterprises et Coradix Technology Consulting, de participer aux occasions d’approvisionnement.
Deux hauts fonctionnaires fédéraux ont aussi été suspendus sans salaire pour leur implication dans l’explosion des coûts de l’application ArriveCAN.
Que disent les fonctionnaires suspendus ?
Le mois dernier, les deux hauts fonctionnaires suspendus ont clamé leur innocence devant un comité parlementaire.
Cameron MacDonald, aujourd’hui sous-ministre adjoint à Santé Canada, et Antonio Utano, directeur général de l’informatique au sein de l’Agence du revenu du Canada, ont travaillé ensemble à l’élaboration de l’application ArriveCAN au début de la pandémie de COVID-19.
Ils ont réfuté les allégations formulées à leur endroit et ont jeté la faute sur leurs supérieurs de l’ASFC, soutenant que ces derniers ont « induit en erreur » le Parlement pour camoufler leur négligence dans le dossier.
« Nous n’étions pas responsables et n’avions pas l’autorité suffisante pour signer des contrats ou pour approuver des budgets. Nous ne sommes pas non plus responsables d’avoir choisi GC Strategies pour travailler sur ArriveCAN », a fait valoir M. Utano.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Les deux associés de GC Strategies — Kristian Firth et Darren Anthony — doivent comparaître mercredi et jeudi devant le comité des opérations gouvernementales, qui examine les dépassements de coûts dans le dossier ArriveCAN. Les deux réunions devraient durer trois heures.
Ils ont tous deux déjà comparu devant le comité des opérations, en octobre 2022, pour parler de l’application.
Par ailleurs, une motion du chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, qui demande « au premier ministre de déposer à la Chambre, au plus tard le lundi 18 mars 2024, un rapport donnant le détail de l’ensemble des coûts directs et connexes assumés à ce jour relativement à l’application ArriveCAN », a été adoptée.
Le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois ont appuyé la motion.
C’est probablement l’une des » pires tenues de registres financiers que j’ai jamais vues KAREN HOGAN