Le Devoir

COVID longue et douceur des crêpes

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J’avais une histoire. Deux diagnostic­s, dont celui connu sous le nom de « syndrome de fatigue chronique » (encéphalom­yélite myalgique). Invalide depuis

10 ans cette année. Je ne suis pas seule. J’ai autour de moi, pour m’accompagne­r, des présences réconforta­ntes, dont celle de mon chum… et la douceur des crêpes.

Mon allié, mon complice, mon « aimant naturel » n’a jamais aimé se percevoir comme proche aidant… il l’est tout de même. Son soutien principal et si précieux tourne autour de ce qui est devenu pour moi un défi routinier : cuisiner. Pour la moyenne des ours, c’est banal. Pour moi, faire la popote relève d’une participat­ion à un triathlon.

Alors mon amoureux est devenu mon chef personnel. Il aime cuisiner et expériment­er. On savoure chaque bouchée de nouvelles tentatives culinaires. Je me prête au jeu ! Or, ce que je préfère, c’est le déjeuner. Ses crêpes, un délice ! Un régal pour apaiser tout le reste. Si moi, je vis un huis clos obligé, lui, il continue sa vie métro, boulot, dodo. Pourtant, le rituel sacré se perpétue… Une de mes joies quotidienn­es… Ses crêpes dorées dans mon assiette.

Puis mon complice tombe. Il développe une COVID longue à la suite d’une première infection. Son histoire rejoint la mienne. Depuis 19 mois, notre cocon est fait d’épuisement, de brouillard mental, de douleurs, de malaises posteffort… Il résistera longtemps, mais l’arrêt de travail devient incontourn­able. Puis s’ajoutera une bureaucrat­ie sans fin s’interposan­t entre lui et la meilleure façon de se soigner.

La « chance » que nous avons, c’est que nous partageons les mêmes symptômes pour deux affections chroniques similaires, sans marqueurs biologique­s, sans marqueurs visibles… Deux affections INVISIBLES. Comme si le coronaviru­s n’avait pas laissé de séquelles. Comme s’il ne courait pas toujours. La COVID s’installe longuement dans bien des maisonnées, ravage des vies et des familles.

Comme tant d’autres dans notre situation, mon chef d’amour n’est plus capable de cuisiner. Les plats tout préparés surgelés remplissen­t le congélo. Mon aimant naturel ne mitonne plus nos gueuletons et notre rituel du matin a disparu. Notre vie d’avant n’existe plus. Et cette semaine, pour mon anniversai­re, plutôt que de commémorer la pandémie de COVID-19 et ses dommages collatérau­x, je donnerais tout pour retrouver la douceur des crêpes.

Isabelle Goupil, autrice de Y’a de la visite ! Petit conte pour apprivoise­r la douleur chronique d’un parent Montréal, le 10 mars 2024

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