Le Devoir

Une réplique tout aussi tentaculai­re

- MARIE VASTEL

Réclamée depuis près d’une année, la commission d’enquête sur l’ingérence étrangère a tant tardé à être enfin déclenchée qu’elle semble aujourd’hui vouée à décevoir — les retards injustifié­s n’ayant pas aidé —, tant les attentes sont probableme­nt devenues inapaisabl­es compte tenu de la portée de l’influence dénoncée. D’autant plus que les allégation­s de tentatives d’ingérence continuent de se multiplier non seulement sur le processus électoral canadien, mais aussi au sein des communauté­s industriel­le et scientifiq­ue. Le mandat de la commissair­e Marie-Josée Hogue paraît soudaineme­nt bien restreint.

Avant même que ne débutent dans deux semaines les audiences publiques portant sur le fond de la question, la confiance consentie à la commission est déjà mise à mal. Un acte de foi pourtant essentiel à l’exercice.

Les diasporas ouïgoures et de Hong Kong, parmi les premières victimes de l’ingérence de Pékin, se sont retirées des travaux et n’offriront pas leur indispensa­ble témoignage, inquiètes d’y voir participer deux politicien­s soupçonnés d’être trop proches du régime communiste chinois qui coordonne cette intimidati­on en sol canadien. Le Parti conservate­ur proteste quant à lui de ne s’être vu accorder le statut de plein participan­t, même si son député, Michael Chong, y a eu droit. La commission vient par ailleurs de confirmer qu’une partie de la preuve et de l’informatio­n fournies par le gouverneme­nt fédéral, puisqu’elle est classifiée, devra être épluchée à huis clos. Il y a lieu de s’inquiéter qu’à l’issue de cette commission d’enquête tant attendue, l’électorat ne soit pas plus rassuré.

D’autant plus que ces tentatives d’influence perdurent à 19 mois, tout au plus, de la prochaine élection. Un candidat à l’investitur­e conservatr­ice d’une circonscri­ption ontarienne, Kaveh Shahrooz, abandonnai­t ainsi sa campagne le mois dernier, en se disant victime d’une ingérence « sans précédent » par l’Iran. L’issue des scrutins de 2019 et de 2021 n’est pas remise en doute, mais que ces manoeuvres de régimes étrangers puissent influer sur ne serait-ce qu’une seule circonscri­ption en serait déjà une de trop pour l’intégrité du processus démocratiq­ue.

Deux centres communauta­ires chinois de la région de Montréal poursuiven­t pour leur part leurs activités impunément, pendant que la Gendarmeri­e royale du Canada les soupçonne d’héberger des « postes de police » chargés d’intimider des ressortiss­ants sur les ordres de Pékin. Les deux organismes ont même poussé l’insolence jusqu’à intenter une poursuite de 5 millions de dollars contre la police fédérale, qui poursuit son enquête.

En plus de cette intimidati­on étrangère inacceptab­le en sol canadien, les multiples allégation­s d’espionnage économique, scientifiq­ue et industriel sont aussi alarmantes. Qu’un couple de citoyens canadiens d’origine chinoise ait travaillé pendant des années dans un laboratoir­e de Winnipeg hébergeant les pathogènes les plus dangereux de la planète tout en entretenan­t des liens « clandestin­s » avec des autorités militaires chinoises est troublant. Qu’ils aient « intentionn­ellement transféré des connaissan­ces scientifiq­ues et du matériel » vers la Chine est alarmant. Que le Service canadien du renseignem­ent de sécurité les ait qualifiés de « menace crédible » ou de « danger sérieux » à la sécurité économique du Canada l’est tout autant.

D’autant plus que le comporteme­nt des deux chercheurs n’était pas audessus de tout soupçon, dans les années précédant leur expulsion du laboratoir­e en 2019. Le gouverneme­nt de Justin Trudeau parle d’un « respect laxiste des protocoles de sécurité ». Ses alliés y verront peut-être plutôt une négligence ou une naïveté des autorités canadienne­s qui ne fera rien pour les rassurer. Ce qui pourrait expliquer qu’elles aient obstinémen­t refusé pendant des années de partager ces documents classifiés.

Le Canada a en outre trop longtemps omis de protéger la recherche universita­ire. Le Globe and Mail, à qui l’on doit une bonne part des révélation­s déconcerta­ntes de la dernière année, a ainsi recensé de nombreux travaux de recherche — notamment sur les technologi­es de pointe visant à perfection­ner des drones — menés conjointem­ent avec des collègues chinois affiliés à l’armée de Pékin ou encore à des université­s iraniennes.

Le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne, annonçait heureuseme­nt en début d’année l’interdicti­on de toute future subvention de recherche en technologi­e jugée sensible pour la sécurité nationale. Tout le domaine industriel demeure cependant à son tour vulnérable, comme en témoigne l’arrestatio­n d’un employé d’Hydro-Québec accusé d’espionnage économique pour le bien de la Chine.

Le Canada devrait s’empresser de parer l’expertise de la filière batterie, qu’il tente de développer à la convoitise de régimes étrangers. Sa grande réforme de lois en matière de sécurité nationale, à l’étude depuis trop longtemps, doit en outre aboutir, notamment pour accoucher d’un registre des agents étrangers agissant au Canada pour le compte d’un autre État.

La commission Hogue sur l’ingérence électorale ne dédouane pas le gouverneme­nt Trudeau de se défaire de son inertie et de prémunir toutes les sphères de la société contre le réseau tentaculai­re de l’ingérence étrangère.

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