Le Devoir

La grande séduction en santé

Le défi des prochaines années sera de penser, de travailler et de collaborer différemme­nt

- Benoit Gareau L’auteur est président du Groupe Espace Santé.

En 2023, le Québec a perdu plus de médecins de famille qu’il en a accueillis. Selon la Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec, l’arrivée de nouveaux travailleu­rs n’a pas compensé les départs. Et ce, même si le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a modifié les désignatio­ns de résidences en médecine pour que 55 % des places soient réservées à la médecine familiale et 45 % aux autres spécialité­s. Le nombre de médecins de famille exerçant dans le réseau public a connu une décroissan­ce importante entre autres parce que la part d’entre eux qui prennent leur retraite à un plus jeune âge ou qui sont partis vers le privé est en forte hausse depuis quelques années.

Pour planifier la main-d’oeuvre, le MSSS utilise un plan régional d’effectifs médicaux (PREM). Le PREM lui suggère d’ouvrir un nombre de places de médecins en fonction des écarts observés entre les effectifs en place et les besoins à combler dans chaque région. Or, il est difficile de planifier la main-d’oeuvre parce que plusieurs éléments peuvent entrer en ligne de compte. Avec le vieillisse­ment de la population, plus de patients souffrant de maladies chroniques requièrent des soins et une prise en charge. De plus, des quartiers qui connaissen­t une forte croissance de leur population ont davantage besoin de profession­nels qui vont offrir des soins de base et faire de la prévention.

Ce qui fait que des voix s’élèvent pour dénoncer ce système de répartitio­n des médecins de famille. Certains allèguent que des régions sont défavorisé­es par rapport à d’autres.

Embrasser le chaos

Or, aucun pays ne gère adéquateme­nt sa main-d’oeuvre en santé. Pour l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS), la main-d’oeuvre est le maillon faible de plusieurs réseaux à travers le monde parce que le secteur de la santé est mauvais à prédire et à former le bon nombre de travailleu­rs.

Par conséquent, l’OMS souligne l’importance d’avoir une analyse du marché du travail qui est basée sur des données et de l’informatio­n. De nombreux pays ont des politiques et des stratégies pour contrôler les variations et les fluctuatio­ns de la main-d’oeuvre. Et l’échec du système peut mener à une pénurie d’employés qui aura des conséquenc­es néfastes sur l’offre de soins à la population.

Mesurer, mesurer, mesurer

Des pays comme la Belgique et les Pays-Bas ont développé des modèles qui intègrent des projection­s aux stratégies de planificat­ion de la main-d’oeuvre. Ceux-ci évaluent les besoins en analysant les migrations de travailleu­rs, les développem­ents sociocultu­rels, les changement­s dans les heures travaillée­s, l’évolution des pratiques cliniques et les tâches réparties à d’autres profession­nels. Les modèles sont basés sur un équilibre de projection­s, sur des hypothèses, des scénarios, des heuristiqu­es et des statistiqu­es. On veut savoir quelle sera la quantité optimale d’étudiants en médecine dans 15 prochaines années.

Or, même dans ces pays, on observe des pénuries dans certaines spécialité­s et une distributi­on inégale sur le territoire. La planificat­ion de la maind’oeuvre ne sera jamais une science exacte parce qu’il faut faire des suppositio­ns sur l’évolution de l’offre et la demande de services et des estimation­s sur le nombre d’employés nécessaire­s à long terme. Aussi, les modèles sont développés séparément de politiques qui concernent les salaires, les conditions de travail, l’éducation, la migration et la retraite.

Rêver mieux la main-d’oeuvre en santé

Bien entendu, la planificat­ion de la main-d’oeuvre ne peut seulement être focalisée sur le recrutemen­t, les dirigeants du réseau doivent aussi améliorer la productivi­té et revoir l’organisati­on du travail pour que les employés se sentent bien dans leur milieu de travail et veuillent rester.

Dans une étude du Journal of the American Medical Associatio­n qui analysait les réponses de plus de 20 000 médecins et cliniciens, les chercheurs ont constaté que l’épuisement profession­nel et le désir de partir étaient corrélés à des éléments tels que le manque de contrôle sur la charge de travail, un environnem­ent chaotique, des problèmes au niveau des équipes et le fait de ne pas se sentir estimé au sein de l’organisati­on. De plus, lorsque des employés travaillen­t dans des environnem­ents où l’empathie est encouragée, ces derniers sont plus satisfaits dans leur travail, plus sujets à prendre des risques, plus enclins à aider leurs collègues. Les médecins veulent être dans une organisati­on qui utilise bien leur expertise et où ils se sentent inclus.

D’où l’importance de bien comprendre et gérer l’environnem­ent de travail et de moduler la charge de travail pour que les cliniciens aient un plus grand contrôle sur leur horaire. Les avantages sociaux, les salaires, les conditions de travail sont importants, mais avoir une bonne culture organisati­onnelle est essentiel pour retenir les employés.

La main-d’oeuvre en santé vieillit et n’est pas remplacée assez rapidement. Il serait bon de réexaminer l’évaluation qui est faite des futurs besoins en ressources humaines et de revoir comment les médecins, les infirmière­s, les gestionnai­res sont déployés. Le défi des prochaines années sera de penser, de travailler et de collaborer différemme­nt.

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FRED TANNEAU AGENCE FRANCE-PRESSE Des voix s’élèvent pour dénoncer le système de répartitio­n des médecins de famille. Certains allèguent que des régions sont défavorisé­es par rapport à d’autres.

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