Le Devoir

Nos parents sont-ils plus dépassés qu’ailleurs ?

- Virginie Dostie-Toupin L’autrice est mère de quatre enfants et enseignant­e non légalement qualifiée.

La semaine dernière, Francis Vailles signait dans La Presse deux excellente­s chroniques intitulées « Nos enfants sont-ils plus difficiles qu’ailleurs » ? Il y soulevait des questions qui brûlent les lèvres de bon nombre d’entre nous depuis un certain temps déjà. Naturellem­ent, cela a provoqué un tollé de réactions.

Certes, le texte initial portait sur l’état de nos enfants, mais de nombreux enseignant­s se sont empressés de souligner le triste secret de Polichinel­le qu’ils observent sur le terrain : derrière chaque enfant difficile, il y a des parents dépassés.

Et cela n’est pas propre au Québec. Toutes les sociétés occidental­es notent le phénomène et tentent de l’élucider, à commencer par nos voisins du Sud, d’où la tendance émerge.

Surprotégé­s et sous-protégés

Depuis près de deux décennies, le psychologu­e Jonathan Haidt s’intéresse à l’épidémie de troubles mentaux qui afflige la « génération anxieuse ». Évidemment, il se penche également sur l’évolution de la culture parentale et sociétale qui y a contribué.

Dans sa plus simple expression, son constat est le suivant : nous surprotége­ons les enfants dans le monde réel et nous ne les protégeons pas suffisamme­nt dans leur bulle virtuelle.

Le jeu libre, quintessen­tiel outil d’apprentiss­age pour les enfants, s’est réduit comme peau de chagrin. Cette lourde perte compromet l’imaginatio­n, l’assurance et le bien-être global de nos petits. De la même manière, le rayon de liberté de mouvement juvénile s’est considérab­lement rétréci au fil des ans, les dérobant d’un précieux sentiment d’agentivité et d’un remède évident contre la sédentarit­é.

La vraie vie étant jugée trop dangereuse, l’indépendan­ce des enfants s’est vue reléguée à un monde virtuel vain qui engendre la dépendance, l’envie et la rumination.

Heureuseme­nt, les solutions prônées par Haidt se révèlent relativeme­nt faciles à mettre en branle : baliser davantage l’usage des écrans et encourager les enfants à réinvestir le monde réel, et ce, autant à la maison qu’à l’école.

Surdiagnos­tiqués et sous-outillés

Sur une note complément­aire, la journalist­e d’enquête Abigail Shrier lance un énorme pavé dans la mare avec son livre Bad Therapy: Why the Kids Aren’t Growing Up, qui trône actuelleme­nt au sommet des ventes du géant Amazon.

Dans son essai solidement documenté, Shrier vante d’emblée les mérites d’une thérapie indiquée et bien menée. Cela dit, elle met en exergue les dérives d’une thérapisat­ion à outrance de l’enfance dans laquelle le remède peut devenir pire que le mal.

Études et entrevues à l’appui, elle dénonce, à l’instar de Céline Lamy plus près de nous encore récemment dans Le Devoir, le surdiagnos­tic des troubles de santé mentale et la surmédical­isation qui s’ensuit. La journalist­e met également en lumière les effets pervers d’une thérapie qui s’est échappée des cabinets et a insidieuse­ment investi aussi bien le milieu scolaire que les approches parentales.

Pour finir, elle remet en question l’impact positif de la fameuse « parentalit­é positive », qui implique d’être constammen­t à l’affût des émotions de l’enfant et d’éviter le recours à toute forme de punition. Sans surprise, cette approche s’est répandue comme une traînée de poudre auprès de parents qui aspirent à la perfection et prêtent aisément flanc à la culpabilit­é. En outre, dans un contexte où la préciosité des enfants s’avère proportion­nelle à leur rareté, plusieurs parents se refusent le droit à l’erreur. Leur progénitur­e s’impose le même régime. Shrier affirme qu’à force d’empêcher nos enfants de vivre de l’inconfort, de la frustratio­n ou des échecs, nous les privons des outils essentiels pour traverser les vicissitud­es de la vie. En d’autres termes, nous les gardons prisonnier­s d’une éternelle pseudo-enfance qui a troqué la légèreté pour l’anxiété.

L’ultime injonction de Shrier est simple : prenons un pas de recul par rapport à ces approches qui n’ont visiblemen­t pas fait leurs preuves.

Bref, revenons à la base. Laissons les enfants être des enfants, les parents être des parents et les enseignant­s être des enseignant­s.

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